Association VIE Vendée » 11 mars 2013

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Bulletin 2013 Histoire - Récits - Mémoire

Un cabinet de lecture à Saint Gilles Croix de Vie

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Les bibliothèques publiques sont en pleine renaissance. A Seattle, des sièges contemporains plus que confortables meublent une immense salle de lecture ouverte à tous. La bibliothèque de Minsk est devenue le lieu branché de la ville. La Chine n’échappe pas à l’engouement. Li Xiadong, proche de Pékin se prend pour une caverne de lecture en offrant de multiples recoins à ses fans. Celle d’Aarhus, fidèle à la tradition danoise en a fait un lieu de vie où s’emboîtent, aires de piquenique, de jeux, de travail et des sofas de rêverie. Plus proche de nous les médiathèques de Saint Hilaire et la bibliothèque à Saint Gilles Croix de Vie proposent animations et rencontres qui sont autant d’occasions d’échanger, de débattre et de se ressourcer. Autant de lieux où se débrancher des tensions de la vie moderne. Renouent ils avec les « chambres de lecture » du XVIIIème siècle ?

Les cabinets de lecture de l’époque étaient des lieux de conquête des espaces culturels et d’information. L’aristocratie et le haut clergé composaient l’essentiel de l’élite sociale car leurs membres avaient, plus que tout autres, le temps et les moyens financiers de «s’orner l’esprit». La grande affaire était, alors, de briller en société, sans cuistrerie, avec éloquence ce qui n’excluait pas les mots d’esprit, de préférence féroces. Quelle manière serait plus raffinée de justifier de son rang de privilégié ? Au XVIIIème siècle, les lumières venaient des écrits des philosophes, des scientifiques, des économistes, de techniciens, de voyageurs, de philanthropes. La bourgeoisie s’empara avec avidité de tout ce qui contribuait à regarder d’un oeil nouveau l’ordre établi jusqu’à le considérer révisable. Les encyclopédistes s’employèrent, à l’initiative de Diderot, à rassembler cette énorme somme des savoirs de l’époque faisant une large part au savoir-faire des artisans. Les obstacles de toutes sortes dressés à l’encontre de cette magistrale entreprise démontrent bien que le savoir est un enjeu de pouvoir que la bourgeoisie éclairée aspirait à partager avec les élites pour mieux s’y fondre. Plus encore que l’information, ce sont les échanges qui furent recherchés afin de cerner ensemble les mutations qui travaillaient déjà en profondeur une société asphyxiée par les inégalités sur lesquelles reposait son organisation.

Un groupe d’habitants de Saint Gilles n’échappa pas à cette aspiration d’autant que se procurer des gazettes et des périodiques restait aussi difficile que coûteux pour chacun d’entre eux. Les bourgeois de Saint Gilles créèrent un cercle afin de partager les frais d’abonnements, d’échanger sur les événements et d’affirmer leurs ambitions sociales. Les statuts furent signés le 30 décembre 1782 par «Cadou, chef de division de canonier (sic), A Gratton, sous officier de canonier, Joubert, Giron procureur fiscal, Dechazeaud, Cavois sergent, JSH Béneteau capitaine de canonier, Boisard fils, J Ingoult directeur de la fabrique de garance de Poitou, Hardy, Mercereau, Gaborit (Hal ?), Gougeard sénéchal, Cadou médecin, Monbeau, Doussau, Jean Petit et Benoit de la Grandière syndic de Croix de Vie*». La première réunion fut consacrée à l’élection des commissaires syndics en charge de la bonne marche du cercle. Le sieur Giron, en sa qualité de procureur fiscal parut le mieux placé pour informer de cette création, par lettre du 20 février 1783, les autorités de police toujours suspicieuses à l’encontre de ce type d’initiative.

Le 1er mars 1783, en réponse, le procureur du roi, M Filleau autorisa « les gens de mérite de votre ville à former une société pour recevoir en commun les nouvelles politiques et périodiques (…) à condition que dans ces assemblées on n’y reçoive que des livres autorisés par le gouvernement*». Sans attendre, le cercle avait lancé ses abonnements dès le 1er janvier 1783 et tint sa 1ère séance le 9 janvier 1783. A cette occasion Benoit de la Grandière se laissa aller à de longues envolées bien dans l’esprit du temps dont quelques extraits sont édifiants : «O sensibilité délicieuse ! Attrait chéri de l’union ! Sentiment doux qui unit les époux, les familles, les concitoyens, les amis qui portent dans le commerce des hommes la douceur et l’aménité, puisses-tu toujours resserrer de plus en plus les liens que nous formons aujourd’hui ; puisses-tu faire de nous autant de philosophes sensibles !*». L’enthousiasme de Monsieur de la Grandière ne fut pas contagieux. Les adhésions furent rares. Qu’importe, on put partager les lectures du Mercure de France, de la Gazette de France, de la Gazette étrangère, des Nouvelles et Affiches du Poitou, du Journal de Paris, de la Gazette de Leyde et des Affiches de Bretagne. Dans les années qui suivirent le cercle compta de plus MM. Sirier, Desloges, Merland médecin, Dufaux, M Chauviteau et le 12 janvier 1786, M Lorteau, le vénérable prieur de Saint Gilles. Le 8 janvier 1787, le cercle souscrivit à l’Encyclopédie et compta parmi ses membres MM. Ténèbre curé de Croix de Vie, Malescot notaire, Rozero greffier futur révolutionnaire enflammé, Chauviteau vicaire puis vicaire épiscopal constitutionnel, Bouhier de la Davière prieur curé de Saint Gilles déporté en 1792 pour refus de serment. En 1788, les bruits venant de la Cour firent que la chambre s’abonna au courrier de Versailles.
En 1789, M. Cohade curé de la Chaize Giraud fut admis à l’unanimité des membres. Trois ans plus tard il sera emprisonné et déporté pour refus de signer le serment de fidélité à la République. La noblesse fut représentée tardivement par M Guery de la Vergne, Lemoine de Beaumarchais chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint Louis, Guery de Boisjoly et quelques autres membres de la petite noblesse locale. Anticipant la Constituante, la Chambre de lecture réunissait sous ses plafonds les trois ordres. Puis, il s’ensuivit une longue interruption qui entraîna l’application de l’article 11 de la constitution de la chambre qui stipulait qu’en cas de dissolution, les biens de la chambre devaient permettre de doter une jeune fille vertueuse désignée par M le curé à l’occasion de son mariage. Ce qui fut fait pour 150 livres. En frimaire an X (novembre 1802), M.Bénéteau, commissaire trésorier, ranima les cendres de la chambre de lecture. Son discours fut explicite : « …Le temps qui change nous a fait éprouver, à la dite chambre, les malheurs qu’a causés la révolution en bouleversant les plus avantageuses institutions.(…). Comme le gouvernement nous donne l’exemple de vouloir rappeler tout au bon ordre, il est donc nécessaire que les amis de la paix, de l’union et de la concorde se réunissent pour rectifier les anciens règlements et en ajoutent de nouveaux qui puissent contenir les esprits qui se rendraient violateurs des lois sociales. … *».
L’initiative de M. Bénéteau resta sans suite dans un pays qui n’en avait pas fini avec les guerres et les menaces des anglais.

La chambre de lecture fut le tremplin d’une notabilisation locale. On retrouvera certains de ses membres dans la première municipalité de Saint Gilles mise en place le 12 août 1787. Ils seront plusieurs à répondre à la convocation aux Etats Généraux de Versailles en 1789.
Aujourd’hui les bibliothèques nous offrent un accès facile à un vaste choix de publications, à des coûts modestes. Ils leurs restent à devenir des lieux de discussions confortables et conviviaux qui soient autant d’invites à la cordialité, à l’ouverture d’esprit et à la culture politique ?
Il n’y a pas de société sans faire société.

Michelle Boulegue

*Bourloton Edgar -Une page de l’histoire vendéenne – La chambre de lecture de Saint Gilles. (1783).

Bulletin 2013 Histoire - Récits - Mémoire

Les rues racontent notre histoire

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Les noms des rues disent la volonté d’une collectivité à se faire gardienne de son histoire et à honorer la mémoire des femmes et des hommes de bonne volonté qui l’ont servie.

La rue de la garance évoque un moment oublié de la vie économique locale.
Hélène Boulineau à qui nous devons des travaux toujours pertinents sur notre histoire locale nous raconte que l’arrivée de la Garance à Croix de Vie coïncide avec celle de M Guillaume- Henri Ingoult à Sainte Croix de Vie vers 1740. Tout juste nommé directeur des garancières du Bas Poitou par les Manufactures Royales de garance, il venait des environs de Montpellier et connaissait bien les techniques de la culture de cette plante récoltée dans le Sud, surtout en Provence. A Croix de Vie, les graines étaient stockées quai des greniers, également appelé quai de la garance. Une rue étroite, reliant actuellement la rue de la Roussière au quai des greniers le rappelle. Elle longe un très ancien entrepôt construit en pierres de lest de navire qui fut peut-être utilisé pour la commercialisation de la garance.

Rue Jean Ingoult

Rue Jean Ingoult

G.H Ingoult, en sa qualité de lieutenant de brigades dans les fermes du roi, s’était porté acquéreur de plusieurs journaux* de terre sableuse, gagnés sur les marais de Besse. Il avait réalisé cette opération à la demande et avec l’aide de M. Blassac, intendant du Poitou, dans le but d’y implanter une pépinière royale de garance. A l’époque, la teinture rouge extraite de la garance était utilisée par les manufactures d’indienne* bretonnes et nantaises mais aussi par les fabriques plus modestes de Fontenay le Comte. Cette production pris vite de l’extension et contribua à développer le commerce maritime du port au point que le 12 septembre 1782, un bateau de Saint Gilles embarqua 1097 livres de garance pour Nantes. Toutefois, G-H Ingoult ne parvint pas à convaincre les paysans locaux à se lancer dans cette culture qui fit la fortune de la Provence. Il multiplia en vain des annonces alléchantes dans les Affiches du Poitou allant jusqu’à proposer « gratuitement 143 livres de graines et 15000 plants à qui lui apporterait les ordonnances de Monsieur l’intendant ».G-H Ingoult se heurtait à la méfiance des paysans pour une plante mal adaptée au climat océanique et exposée à une série d’épizooties dans les années 1780.
Outre la sensibilité de cette plante aux aléas climatiques, son industrialisation se heurtait à des revirements de la mode, contrairement aux cultures vivrières aux débouchés davantage prévisibles. Finalement, le directeur de la pépinière royale échoua à créer une filière économique qui outre la culture aurait dû entraîner la construction, en nombre, de moulins à broyer les racines et susciter la maîtrise de techniques tinctoriales.
Jean Ingoult, son fils, agronome, avait eu le temps, aux côtés de son père de bien connaître les ressources locales et de s’imprégner des mentalités. Il se lança parallèlement, avec plus de succès dans la fabrication de la soude à partir des cendres de goémons. Le marché estimé portait sur la fourniture annuelle de 200 livres de soude. Il avait convaincu son père des perspectives fructueuses que pouvait réserver cette exploitation. Ce dernier recruta donc trois journaliers demeurant au village des Bussoleries pour récolter et transporter à leur frais, au domicile du sieur Ingoult, des cendres payées «20 livres par milliers fournis».
Jean Chrysostome, fils de Jean Ingoult, prendra la relève, mais le marché qu’il prit pour 7 ans avec des habitants de Saint Hilaire sera payé 10 livres par milliers et 16 en cas de paix. Acheminée par bateau vers Nantes, cette production devait souffrir du blocus anglais. Le goémon était sans doute brûlé sur des terrains situés dans l’actuel quartier de la Soudinière. Jean Chrysostome fut plus commerçant qu’agronome. Il mettra fin à la pépinière de la garance au profit de l’exportation de la soude ainsi que du sel et des céréales. Il se fera importateur de bois, très recherché par les chantiers de construction navale implantés à Croix de Vie. Il fut aussi un grand acquéreur de biens nationaux : marais salants, près d’élevage et terres céréalières. Il confirma son enracinement dans la commune en épousant le 24 février 1778 Marie Françoise Louise Grelier, fille de feu JB Grelier et de Thérèse Louise Desloge. Son fils, Jean excella comme armateur. Il fut un défenseur inlassable des intérêts du port et l’instigateur des aménagements nécessaires à son développement. Il fut le deuxième maire de Croix de Vie qui honora sa mémoire en lui dédiant la rue Jean Ingoult.

Maison qui fut habitée par le Docteur Marcel Baudouin - Rue Marcel Baudouin

Maison qui fut habitée par le Docteur Marcel Baudouin – Rue Marcel Baudouin

La rue Marcel Baudouin du nom de son petit fils passionnément attaché à la cité et à son histoire dota celle-ci d’une documentation historique exceptionnelle rassemblée pour l’essentiel au musée de l’abbaye Sainte Croix aux Sables d’Olonne. Il prit l’initiative, impardonnable aujourd’hui et que seule son époque pouvait permettre, de déraciner le menhir «des tonnelles» (Saint Hilaire) pour l’implanter sur son caveau de famille dans l’espoir que cette concession perpétuelles, au cimetière de Croix de Vie préserverait ce témoin de la préhistoire locale de la désinvolture des temps futurs. C’est de fait, le seul monument répertorié de la commune. Ces deux rues, racontent à elles seules l’histoire d’une dynastie locale.

* Sources : Boutier Jean Claude : mémoire de master 1 recherche histoire sous la direction de Monsieur Guy Saupin
* Unité de surface correspondant à ce qu’un homme peut labourer, à force de bras, en une journée.
* Toile de coton peinte ou teinte fabriquée initialement en Inde.

Bulletin 2013 Histoire - Récits - Mémoire

Se souvenir de Denise Rivalin

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Denise Rivalin

Denise Rivalin

Denise Rivalin nous a quittés, cet été. Elle était encore avec nous, lors de l’assemblée générale de V.I.E., le 7 juillet dernier tant elle suivait fidèlement nos travaux : «j’aime me tenir au courant de ce qu’il se fait et de ce qui se passe». Denise, discrète et sans jamais se plaindre, a enduré les lourds handicaps qui ont assombri sa vieillesse, la privant progressivement de ses jambes et de sa vue. Elle faisait face sans chichi avec ténacité.

Enfant, Denise voulait être institutrice. Elle fut l’une des premières à s’inscrire au cours complémentaire pour les filles dont V.I.E. a évoqué dans son précédent bulletin la création improbable, en 1945, à Saint Gilles, sous l’occupation. Son succès au concours d’entrée à la Poste décide de sa carrière. D’abord en Bretagne puis en Vendée et pour finir à Saint Gilles-Croix de Vie, sachant concilier ses affectations avec les engagements de son époux dans la marine. C’est à Saint Gilles Croix de Vie, en 1996 que Denise Rivalin s’associa à un petit groupe d’habitants décidés à créer une association V.I.E. afin de préserver l’environnement, améliorer le cadre de vie et valoriser le patrimoine local. Depuis lors, Denise Rivalin, administrateur de V.I.E. s’efforça de participer à tous les conseils d’administration de l’association.

Elle aimait raconter des anecdotes du pays dont voici le récit de l’une d’elles. « Vers la fin de la guerre, en 1944, nous avions très peur d’être bombardés par les Alliés. Un dimanche, en chaire, Monsieur le curé nous a fait implorer la protection de la Vierge en lui promettant d’ériger une statue si elle exauçait nos prières. La guerre finie, et n’ayant pas été bombardés, nous avons apporté notre obole pour payer la statue que nous avons conduite en grande procession, Monsieur le curé en tête, jusque dans les dunes du Jaunay. Elle veille aujourd’hui au bout du petit square de la promenade Narcisse Pelletier ». Denise Rivalin s’est tue. A nous de garder, vive, sa mémoire, en toute amitié.