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Bulletin 2017 Histoire - récit - mémoire

Gilbert HERAUD, un Croixdeviot au service des marins du port de Saint- Gilles-Croix-de-Vie.

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Gilbert Héraud (avec son béret) aux commandes du «Aimé Baud» avec Manu
Brossard.

Beaucoup de Gillocrutiens, de souche au moins, ont connu Gilbert HERAUD à un titre ou a un autre ; ce dernier est né le  26/12/1926 à Croix de Vie rue du Maroc, quartier qu’il n’a jamais quitté par la suite et qu’il chérissait ; il a été élevé par son grand père maternel, et a eu deux sœurs Micheline et Rosette ; par la suite il a vécu avec sa mère dans  une maison qui donnait  bd de l’Egalité ;  Son père, René, dit « l’étudiant » était aussi marin et ses parents ont divorcé en 1936 ce qui était très rare à l’époque.

J’ai fait sa connaissance un soir à un retour de pêche en juillet 1962 (j’avais 18 ans) et lui ai fait part de ma grande envie de passer une journée sur le Thalassa ; après m’avoir posé quelques questions sur ma famille et mes études à Nantes, il m’a donné son accord ; « rendez-vous à 3 H 45 au port » ! J’étais comblé : un vieux rêve allait se réaliser.

Cette journée de juillet a été inoubliable ; la mer était belle et j’ai pu assister au lever du soleil : pure merveille de la Création ; J’ai observé  longuement Gilbert, avec son béret basque, à la barre ; il semblait dans un autre monde bien que tout attentif à ce qui se passait ; il n’avait pas besoin de donner des ordres à son équipage  ; chaque matelot savait parfaitement ce qu’il avait à faire avant et après le  jeter des filets ; il s’adressait parfois à Jacques Pouvreau pour lui donner quelques consignes ; Jacques était propriétaire à part égale du Thalassa et avait le statut de mécanicien ; les prises étaient bonnes..

Entre deux parties de pêche j’ai du m’exécuter (en tant que touriste) au jeu de l’entonnoir qui consistait à mettre celui-ci dans mon pantalon à l’avant ; puis de mettre une pièce de monnaie sur mon front relevé afin de  la faire tomber dans l’entonnoir ; A ce moment là un matelot se faufilait derrière moi pour vider le contenu d’une bouteille d’eau dans l’entonnoir ; ce qui provoquait un éclat de rire général dans l’équipage patron y compris ; l’ambiance était très gaie sur le Thalassa : c’est vrai qu’il n’y avait pas de stress à une époque ou la réglementation européenne était souple.

Au retour à terre il était de coutume de prendre un verre au Café du PMU dit   « le Bouillon » pour la tournée du patron et la paye qui se faisait en liquide ; Le silence était la règle tant la fatigue se faisait sentir sur les visages après 12 à 13 H en mer.

Revenons à Gilbert ; au cours de sa carrière il a navigué successivement dés l’age de 14 ans        sur la Petite Simone comme mousse puis sur la Monique enfin sur l’Ondine toujours comme marin ; ensuite il est devenu patron pêcheur à bord du Thalassa, un navire de 24 tonneaux,  à partir de 1958 jusqu’en 1981.  Il a vécu en harmonie totale avec son équipage qui appréciait sa bonne humeur et son flair pour détecter les bancs de poissons ; le Thalassa pratiquait la pêche à la sardine au filet tournant  de mai à septembre et le chalut plus les coquilles saint Jacques l’hiver. Les prises du bateau étaient limitées aux besoins du mareyage et des usines de conserve : les quantités étaient affichées à « la baraque » (local du syndicat des marins) et variaient selon le nombre de matelots à bord ; Le Thalassa, qui a été le dernier bolincheur  du port, a été acquis bien plus tard  par une association des Sables « l’Océane » qui l’a laissé à l’abandon.

Gilbert prenait activement part à la vie du port que ce soit au comité local des pêches, au comité de la sardine…..il a été aussi le représentant, un temps, des marins C.G.T. (clin d’œil à la classe ouvrière). Les revendications du syndicat portaient sur la juste rémunération des marins ; puissante à la sortie de la guerre, elle a perdu de son influence par la suite cela était certainement lié au charisme et à la fougue de Louis VRIGNAUD : il était  secrétaire du syndicat professionnel des Marins et a consacré sa vie à la défense du monde maritime.

A l’actif de la CGT la création de la coopérative de mareyage l’Avenir en 1946, puis en 1948 d’une usine de conserve crée conjointement par les marins CGT et la SGCC (Société Générale des conserves coopératives) appelée Bilbao sur la route des Sables en souvenir des réfugiés espagnols qui avaient fui le régime franquiste en 1936. Le climat était bon entre les deux syndicats à tel point qu’ils ont  été à l’origine de la création de Vendée Océan en remplacement de l’Avenir qui rencontrait de sérieuses difficultés ; Chaque partie était représentée par 6 professionnels   et la constitution officielle de Vendée Océan s’est faite le 14 août 1959. ; Dans les négociations la CGT était représentée par Yvon Praud et Raymond Nadeau.

 

Bien que « de bord différent » Gilbert avait un lien fort avec « le grand Louis » (1) qui présente Gilbert comme « un bon marin  agissant avec beaucoup de bon sens , soucieux de l’intérêt général » « il parlait peu mais quand il ouvrait la bouche on ne savait pas s’il était sérieux ou blagueur » . Témoin de la solidarité entre gens de mer le dépannage de Louis Vrignaud, dans des conditions rocambolesques liées au évènements de mai 1968 a permis la réparation du moteur du Thalassa qui avait lâché ; Louis l’avait emmené à Surgères à l’usine Poyaud pour chercher les pièces nécessaires à la réparation  de son moteur de 172 CV.

 

Gilbert est entré à la SNSM en 1969 et il a été successivement patron suppléant de Paul Fortineau puis patron tout court de la vedette « patron aimé Baud » et cela de 1974 à sa maladie ; il a été le témoin direct d’un drame de la mer, qui a eu lieu le 28/5/1985,  concernant le navire l’Alnilam : Michel Abillard, patron du navire, a péri en mer dans le secteur de l’Ile d’Yeu lors d’un virement de bord dans des conditions tragiques.

Pour tout son dévouement à la cause des marins Gilbert a été décoré au grade d’officier du Mérite maritime par Louis Vrignaud le 9 novembre 1985.

Gilbert a été élu municipal de Croix de Vie  du 21 mars 1965 au 1er janvier 1967, date de la fusion, avec comme maire Marcel Ragon ; il a œuvré surtout dans le cadre de la commission maritime ; les archives municipales sont muettes sur les interventions de Gilbert tant il est vrai qu’à cette époque c’est le Maire qui présentait tous les sujets à l’ordre du jour et le conseil votait pratiquement toujours à l’unanimité les projets présentés.

Gilbert a toujours chéri son quartier du Maroc ; une preuve parmi tant d’autres : il a été à l’initiative, suite à un article dans Vendée matin du 17/7/1986, d’une pétition « signée par les touaregs et autres souks du Maroc (sic) »  qui évoquait « un projet de construction d’immeubles décents et neufs » dans un quartier où « il est bon de respirer les effluves des sardines et non l’odeur du pétrole ou du gaz oïl et qui  autorisait la circulation des véhicules dans un quartier apprécié par les estivants pour son calme » ; par un communiqué en date du 27/8/1986 le Maire Jean Rousseau rassura : les projets d’évolution de ce quartier « qui avaient en leur temps suscité l’émotion des propriétaires ont été abandonnés en 1977  et le Plan d’Occupation des sols « assurait la conservation de ce secteur et comportait un règlement  propre à lui garantir son caractère spécifique ».

Il est impossible de ne pas évoquer en conclusion l’homme tout court, l’ami BEBERT qui côtoyait beaucoup de monde, de tous les milieux, comme l’humoriste Pierre Desproges ; les compères aimaient se retrouver au café « chez Bougnat » rue du Maroc ou il faisait bon  faire une partie de boules entre deux verres de rouge.

Autant Bébert était discret en mer autant il devenait un bon vivant à terre ; j’ai le souvenir d’une soirée à la crêperie du Récif à Sion ou on buvait et buvait encore en frères à la « santé des amoureux, à la santé du roi de France … » en chantant tard dans la nuit ; d’autres ont en mémoire les banquets de marins (SNSM…) ou Bébert aimait entonner « La pompe à Merde », une chanson de carabin.

Bébert était viscéralement attaché à sa terre de Croix de Vie ce qui ne l’empêchait pas d’avoir des idées de progrès ; ce quartier du Maroc ou autrefois à l’heure du repas les hommes ramenaient la part du pêcheur et ou tout le monde se retrouvait au café du coin pour manger des grillades avec des pommes de terre. C’était la fête !

Nombreux sont ceux qui l’ont accompagné jusqu’au bout  (Bebert est décédé le 9/11/1991 sur ses 65 ans d’un cancer du poumon); comme le chantait  Brassens, dans  « les copains d’abord », les nombreux présents à son enterrement civil «  c’étaient pas des anges, l’Evangile ils l’avaient pas lu mais ils s’aimaient tout’s voil’s dehors, les copains d’abord… » ; L’oraison funèbre prononcée par Sylvain Rebeyrotte  fut à la hauteur : plein d’éloge et plein de tendresse vis-à-vis de l’homme de cœur et de raison qu’était Bébert ; Là ou tu reposes désormais Bébert j’émets le vœu que nous soyons quelques uns à fleurir ta tombe à la Toussaint prochaine.

 

 

 

 

Jean Michel BARREAU

jm.barreau9444@orange.fr

 

  • A lire « J’ai posé mon sac à terre » de louis VRIGNAUD

(Appel pour mes recherches futures: si vous avez la collection des revues « La Hutte Radio Pil’Hours» parues dans les années 60 merci de me le faire savoir)

Bulletin 2016 Histoire - Récits - Mémoire

L’héritage de Pierre Garcie dit Ferrande

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Les invités étaient tous partis. La mère s’était retirée dans la chambre du haut, prenant le temps de graver dans sa mémoire le tableau que formaient les deux hommes, assis à la table, tête penchée, aussi taciturnes l’un que l’autre.

Allégorie de Pierre Garcie par Ion Olteanu - 1992 © Photo CRHIP

Allégorie de Pierre Garcie par Ion Olteanu – 1992 © Photo CRHIP

Des bruits infimes bruissaient à la limite de cette intimité d’homme. Une pluie d’été faisait luire le pavé de la Grande Rue à la clarté du jour finissant de ce 2 août 1463. Des claquements pressés de sabots s’éloignaient. La chandelle faisait danser des ombres chancelantes sur le mur. C’est alors que Jean Garcie s’était levé pour rabattre les volets intérieurs contre l’étroite fenêtre de la rue et accrocher le panneau de bois à la porte qu’il bloqua d’une barre de fer. Le bruit des pieds du banc raclant le sol inégal de la grande salle et le mouvement du père sortit Pierre Garcie de ses pensées. Le père se rassit et lui pressa le bras: «Tu as eu une rude journée aujourd’hui. Tu as barré ferme. Je suis fier de toi.» Pierre sourit en hochant la tête : «J’espère qu’ils poursuivront leur enquête en se passant de nous Pierre Cado et moi». Les deux hommes venaient de témoigner, à Nantes, convoqués par Olivier de Breuil, Procureur Général à la Chancellerie du duc de Bretagne, dans l’affaire des sauf conduits qui faisait grand bruit. Deux mois plus tôt, le 12 mai 1463, embarqués sur la Grande Caravelle de Saint-Gilles sur- Vie, ils naviguaient au large de Guérande, bord à bord avec la Caravelle d’Olonne, armées pour la douane.

Reconstitution hypothétique du navire sous voile, site archéologique «l’Aber Wrac’h 1», XVe siècle © P. Lotodé

Reconstitution hypothétique du navire sous voile, site archéologique «l’Aber Wrac’h 1», XVe siècle © P. Lotodé

Quand les deux caravelles tombèrent sur cinq bateaux anglais, ils arraisonnèrent et fouillèrent comme il était d’usage en ces temps troubles de guerre économique larvée entre l’Angleterre, la France et en particulier la Bretagne. C’est ainsi qu’ils découvrirent à bord de l’un de ces navires, un familier de la cour de Bretagne, Gilles de Créosoles, un secrétaire du duc, porteur de sauf-conduits à fenêtre et de «parchemins en blancs», scellés du sceau d’hermine vermeil du duc de Bretagne. Les caravelles poitevines venaient de mettre à jour un trafi c de sauf-conduits entre la Bretagne et l’Angleterre, au grand embarras du duc de Bretagne. Celui-ci ne put faire moins que de diligenter l’ouverture d’une enquête à charge, à l’encontre de Guillaume Chauvin, son chancelier. A peine le pied posé sur le quai de Saint Gilles sur Vie, Pierre Cado et Pierre Garcie rejoignirent en grande hâte la maison de ce dernier où les attendait un repas de fête organisé en leur honneur auquel avaient été conviés, outre les Cado, les voisins les plus proches. Pierre savait que ces agapes exceptionnelles avaient aussi pour but de calmer les curiosités inquiètes dans la bonne humeur. A cette heure, Il appréciait le silence de la soirée après les bruyantes accolades et les glorieux récits dont les convives, la plupart marins, avaient régalé l’assemblée, histoire de ne pas être en reste de hauts faits. Le père pressa l’épaule de son fils en se rasseyant. Pierre s’en étonna. Les contacts physiques étaient rares entre eux et pourtant ils étaient proches. Ils avaient navigué ensemble dès que Pierre avait été en âge d’être aide-pilote de son père. Il en avait reçu ce qu’il savait pour être à son tour un pilote apprécié. Sans-titre-7Grâce aux enseignements de son père, il savait tracer une route maritime en se dirigeant de nuit grâce aux étoiles. Il ne recourait à ces connaissances que poussé par la nécessité où les fortunes de mer pouvaient acculer les équipages dont il partageait le sort. En cela il suivait les conseils de prudence de son père. Aux yeux de l’église c’était se soustraire aux lois divines. Cette prudence n’avait cependant pas empêché Jean Garcie, d’apprendre à lire, écrire et compter à son fi ls pendant les escales qui pouvaient durer plusieurs jours entre les embarquements : «C’est indispensable si tu veux être maître de bateau et négocier des transports de marchandises» lui avait-il dit. Ces connaissances, rares et dangereuses laissaient deviner à Pierre que les siens avaient dû traverser des épreuves terribles. Il avait interrogé en vain ses parents à propos de leur maigre parentèle quand les galopins de sa rue mélangeaient les prénoms de leurs nombreux frères et soeurs. A La Rochelle il avait entendu son père parler portugais ou espagnol avec l’aisance d’un natif. Celui-ci avait refusé de lui en donner la raison la repoussant sèchement «à plus tard quand il sera temps pour toi et pour moi». La proximité qui s’installait entre eux était- elle le signe que le temps était venu ? Comme pour répondre, Jean Garcie se leva et souleva le couvercle de l’immense coff re qui enfermait les biens les plus précieux de la famille, comme ce coffret en fer finement ciselé que Pierre avait toujours connu et devinait, depuis l’enfance, empli de secrets. Sans un mot, Jean Garcie en sortit des rouleaux qu’il mit à plat en les lissant de la main et les repoussa vers Pierre. Il reconnut une carte des côtes ibériques au tracé hérissé de mentions manuscrites, une rose des vents et un document entièrement couvert de colonnes de chiff res, le tout accompagné de textes rédigés en une langue inconnue. Pierre interrogea son père du regard qui se mit à parler d’une voie sourde : «Ce que tu vois là est l’enjeu de la guerre des cartes que se mènent les rois d’Espagne et du Portugal, sans négliger celui d’Angleterre et les princes italiens, sans oublier notre Très Saint Père. De ces connaissances dépend la maîtrise des mers et des richesses qu’elles permettent d’acquérir par la force ou le commerce. Notre famille a participé à ces découvertes. Elle en a reçu en retour les honneurs et la considération que l’on accordait à Majorque aux savants astrologues. C’est aussi ce qui valut aux nôtres de fuir au Portugal afin d’échapper au bûcher de l’Inquisition espagnole.

Le roi du Portugal savait tout le profit qu’il pouvait tirer en nous accueillant. Nous ne l’avons pas déçu mais l’Inquisition s’est à son tour imposée au Portugal et nous avons encore dû fuir. Nous avons choisi les terres de Normandie car nous savions combien nos connaissances étaient précieuses pour rendre les courses en mer plus sûres et le commerce plus profitable. La guerre que se mènent les rois de France et d’Angleterre, dès 1417, nous en a chassés. Nous avons cherché à nous mettre à l’abri de ces périls en sollicitant la protection du duc de Bretagne qui nous l’a accordée plus par calcul que générosité. Par précaution, ta mère et moi, après nos épousailles, avons opté pour la Marche du Poitou placée sous la protection du roi de France et du duc de Bretagne. C’est ainsi que nous nous sommes installés à Saint Gilles sur Vie et nous y menons depuis une vie discrète de bons chrétiens, durs au travail, et prêts à rendre service, respectueux des lois et de Dieu» ; «Parle moi de ces documents» interrogea Pierre sortant son père du silence où il s’était plongé après le récit le plus long qu’il lui ait entendu prononcer. «Tu as raison, ce soir il me revient de te transmettre les découvertes des savants astrologues.

Atlas nautique de l’océan Atlantique nord-est de la mer Méditerranée et de la mer Noire, 1466, Gracioso Benincasa © BnF, départ. des cartes et plans

Atlas nautique de l’océan Atlantique nord-est de la mer Méditerranée et de la mer Noire, 1466, Gracioso Benincasa © BnF, départ. des cartes et plans

Tu es marin et ces connaissances sont aussi ce qui peut apporter aux marins plus de sécurité et ouvrir des routes maritimes inconnues, car la navigation nocturne, avec les étoiles pour guides, permet de naviguer en droiture, ce que les portugais pratiquent pour aller quérir les épices au Levant. Ce texte qui t’intrigue, je l’ai écrit en portugais à partir d’un règlement arabe qui permet d’utiliser l’étoile polaire qu’ils appellent Kochab et la dernière étoile de la Petite Ourse, qu’on appelle la Polaris comme tu le sais déjà et qui te sert à te repérer de nuit au moyen de la rose des vents. Ce règlement est dit «règlement d’Evora». Il donne les tables de calcul qui permettent d’anticiper les cycles des marées, l’heure en pleine nuit à partir de quoi tu en déduis la durée, ta latitude et le chemin à parcourir. Je t’ai déjà transmis les bases à partir desquelles tu vas pouvoir faire tiennes toutes ces connaissances si rares et si précieuses pour le métier qui est le tien. J’ai deux prières, je souhaite que tu te fasses un devoir de transmettre ces connaissances de manière intelligible afi n qu’elles puissent être partagées par tous ceux qui feront l’eff ort, comme toi, d’en percer les secrets. Ma deuxième prière est que tu te protèges des dangers que courent tous ceux qui savent. Le roi du Portugal comme celui d’Espagne punissent de mort ceux qui révèlent cette science de la navigation, à laquelle nous avons largement contribué et discuté avec les « sarrazins ». Ma recommandation est que tu écrives pour toi et par toimême en secret. Tu prendras, au soir de ta vie, les moyens de transmettre tes connaissances sans que cela ne fasse courir le moindre danger à toi et aux tiens. Mon expérience est que l’espace et le temps peuvent protéger mieux que la plus épaisse des murailles. Tu veux bien prendre le fardeau des savoirs de tes ancêtres ?» – «Oui», répondit Pierre, la voix enrouée d’émotion, les yeux rivés à ceux de son père au regard durci d’intensité. Après un long silence, Pierre montra du doigt la carte des côtes ibériques,

Pilotes côtiers décrits par Pierre Garcie, 1490, 1502, 1520 © CRHIP

Pilotes côtiers décrits par Pierre Garcie, 1490, 1502, 1520 © CRHIP

«Tu les as dessinées de ta main ?». Le père se contenta de hocher la tête en suivant du doigt les contours du pays perdu. Pierre se leva face à son père et parla d’une vosignatureix ferme et martelée de celle qui se fait entendre par gros temps : «Je continuerai ton trait jusqu’au plus haut des côtes atlantiques que le destin me permettra de connaître. J’espère qu’ainsi les marins sauront mieux se préserver des risques de leur métier. Rien de ce qui pourra les guider ne m’échappera et ils sauront tout avec une extrême précision du moindre rocher, des profondeurs, de la nature des fonds et des havres qui pourraient les abriter ainsi que des moyens d’y accéder en sécurité. J’en fais le serment, Père».
Vingt ans plus tard, Pierre Garcie dit Ferrande mettait le point final à son grand oeuvre, «le grant routtier de la mer», premier du genre en France. Son manuscrit de 1483 fut réédité dès 1502, et après sa mort, par les soins de son filleul en 1520. Pendant 150 ans, son pilote côtier accompagnera les maîtres de nef et de caravelle sur cette mer apprivoisée. Son oeuvre, portée à la connaissance de François 1er par Philippe Chabot, seigneur d’Apremont, suzerain de Saint Gilles sur Vie, lui valut d’être reconnu comme «lung des experimentez maistres des navires qui sont iourdhuy et le plus congnoissant en navigaige».

 

Michelle Boulègue bouleguem@gmail.com

Pierre GARCIE dit Ferrande est né en 1441 à
Saint-Gilles-sur- Vie. Maître de cabotage vendéen, lettré et savant, il est considéré comme le premier hydrographe français. Il écrit «Le grant routtier» en 1483, publié en 1502, puis de 1520 jusqu’en 1643. Sous la plume de Pierre GARCIE, les côtes de l’Europe atlantique se révèlent pour « l’honneur des braves marins ». À défaut d’être totalement maîtrisés, les dangers réels qui parsèment les côtes sont identifiés, nommés, voire apprivoisés par le dessin. À l’aube du vaste mouvement maritime des Grandes Découvertes, «Le grant routtier» témoigne d’une passion neuve pour l’hydrographie, léguée par des générations de «compaignons mariniers». Cet ouvrage est le résultat d’un travail collectif de 4 ans, sous la coordination de Bernard de MAISONNEUVE.
L’ouvrage peut être commandé (prix 45 ) à l’adresse mail : garciepierre@gmail.com ou au siège CRHIP (Cercle de Recherche sur l’Histoire et le Patrimoine de la Vendée), 8 rue du Petit Port, 85800 Saint Gilles Croix de Vie – 02 51 55 55 52

Bulletin 2016 Histoire - Récits - Mémoire

La criée de Saint Gilles Croix de Vie, une longue histoire

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Mai 1929, la criée municipale, tôt le matin.

On se bouscule dans l’allée centrale, luisante d’humidité. Là se mêlent les pêcheurs, chaussés de leurs sabots à jambières, poussant des charrettes ruisselantes, chargées de la pêche du jour. Des badauds, et les mareyeurs observent. A l’écart, se tient un petit groupe d’hommes, les gérants des usines venus sentir la tendance du marché du jour. Leurs tenues sombres et citadines tranchent sur les camaïeux de bleu des marinières éclairés, par touches, par le flot de lumière qui se déverse à travers le porche, ouvert à deux battants sur le quai de la République. A force d’allées et venues, les poissons sont maintenant rangés par lots et espèces sur les deux larges bancs de ciment qui, de part et d’autre, bordent l’allée. Soudain, un calme relatif se fait. La tension qui s’installe fige la foule. C’est alors qu’une voix forte psalmodie une mélopée, inintelligible pour le profane, que seuls comprennent les acteurs de la scène qui se répètera plusieurs fois dans la journée au fil des arrivages. Le crieur met à prix les lots exposés et procède à leur adjudication, saisissant les signes imperceptibles qui s’échangent dans le brouhaha des commentaires. Des mimiques expriment la satisfaction ou le dépit. Les premiers arrivés vendent leurs poissons à bon prix. Il ne suffi t pas d’être un bon marin et un bon pêcheur pour réussir sa pêche, il faut aussi gagner la course et accoster le premier. Sitôt achetée par les mareyeurs, la pêche du jour sera dirigée sur Nantes, la Roche sur Yon, Fontenay le Comte, Luçon. Brusquement, tout est joué et la criée se vide. Les usiniers s’éloignent. Leur heure viendra avec l’arrivée des sardiniers. C’est alors que les volumes mis à la vente changeront d’échelle même si les mareyeurs sont encore là pour acheter la fraîche qui sera vendue au coin des rues de Nantes et des villes du bocage. Les quantités pêchées vont se démultiplier avec la découverte de l’appertisation*.

A Croix de Vie le procédé fut appliqué par le sieur Jutel dès 1840. Dans le sillage de cette invention, une dizaine d’usines s’implantèrent sur la rive droite de la Vie. Seule l’usine Gendreau subsiste encore. Elle fait travailler près de 300 personnes sur deux sites, celui de la Bégaudière où l’usine «Vif Argent» développe la filière des plats cuisinés et l’usine Bilbao, initiée en 1948 par des marins syndiqués qui avaient voulu maîtriser toute la chaîne de production, depuis la pêche, la transformation jusqu’à la commercialisation pour mieux défendre leurs intérêts. Les premières usines faisaient suite aux saurisseries dites encore confiseries qui, depuis le XVIIIème siècle faisaient confire dans le sel le poisson lité par rangée et pressé dans des tonneaux. Pêcher, transformer, vendre le poisson, autant de métiers dépendant les uns des autres mais dont la coopération ne va pas de soi, tant chacune des parties s‘efforce de tirer son épingle du jeu. Le pire arrive pour les marins quand les acheteurs s’entendent pour acheter à la baisse. C’est la crise qui remplira plusieurs fois les rues des poissons invendus puis laissera les bateaux à quai. Pourtant les usines peuvent continuer de mettre en boîte du poisson importé jusqu’à ce que les femmes de marins, également ouvrières d’usines refusent de travailler, obligeant les usiniers à accepter de payer la pêche à un prix raisonnable qui permette aux capitaines de faire face à leurs charges et de payer les hommes d’équipage décemment. Quand le moteur remplacera la voile, le gasoil allongera la liste des dépenses et les bateaux changeront de ligne grâce à l’inventivité du chantier Bénéteau qui sera le premier à miser sur cette transformation à partir de 1925.

Afin de réduire leurs coûts de fonctionnement, les marins sauront s’organiser en coopératives permettant des achats groupés avantageux. Ils sauront aussi s’adapter aux volumes de pêche qu’exigeait la rentabilité des usines au point que, la sardine devient le poisson phare des ports vendéens. Entre les années 1880 et 1881, la sardine se fera rare le long des côtes vendéennes sauf en face de Croix de Vie. Les Sablais s’orienteront, alors, vers la pêche au thon tandis que les Croixdeviots rachèteront leurs barques de pêche sans négliger d’armer pour le thon. C’est à partir de ce moment que Croix de Vie s’affirmera leader de la pêche à la sardine tandis que la flottille bretonne accostera le long de ses quais à chaque belle saison.

Dans les années 50, les marins ne sont plus satisfaits des prix qui sont proposés et trouvent preneurs aux Sables. Quelques capitaines pressentirent les risques d’une désorganisation du marché local qui pourrait les livrer encore plus à ses lois s’ils se dispersaient. Ils dépasseront leurs différents et, avec le concours de la mairie concevront le projet d’une nouvelle criée. Ils la voulurent deux fois plus vaste, plus fonctionnelle et surtout, implantée entre les deux darses du port afin de ne plus avoir à franchir les voies ferrées. En 1962 le port est doté d’une nouvelle criée qui ne sera plus municipale mais gérée par la Chambre de Commerce et d’Industrie.

A partir de 1970, les techniques de pêches évoluèrent, faisant délaisser le filet droit au profit de la bolinche ou fi let tournant et utiliseront les détecteurs à ultrasons. Dans le même temps, la pêche à l’anchois s’avéra des plus rentables. Jusqu’alors ce petit poisson était plutôt la bête noire des marins qui devaient l’éliminer de leur pêche de sardines au risque de la gâter par des manipulations quand leurs acheteurs exigent une qualité irréprochable. Ce fut le cas jusqu’à ce qu’Edmond Bouanha s’installe à Croix de Vie en 1967. Venu d’Algérie il sait combien ce poisson est apprécié sur les bords de la Méditerranée à condition de savoir le préparer en semi- conserve. Cet entrepreneur ouvre de nouvelles perspectives aux marins qui se lancent dans la pêche à l’anchois. La pêche au thon amènera également à la criée des tonnages importants. Certains capitaines comme Jean Driez, du Baroudeur, adoptent une technique novatrice, l’appât vivant. Dans le même temps la pêche côtière est active. Dans les années 90, le tonnage des prises passera de 4 000 tonnes/an à 12 000 tonnes/an. La criée tourne à plein régime. C’est alors que Bruxelles exigea l’application de nouvelles normes. A l’époque, la Vendée comptait 3 criées, aux Sables, à l’Ile d’Yeu et à Croix de Vie. Le dynamisme du port justifie ces investissements. C’est décidé en 1993. En 1995 la criée aura une surface opérationnelle de 9 200 m2 comprenant une halle de vente de 3 000 m2 et 14 ateliers de mareyage pour un coût de 30,5 millions, le tout sera financé en partie par des subventions notamment européennes dans le respect des normes édictées par Bruxelles. Voilà le port doté d’un équipement performant que d’aucuns diront surdimensionné mais à l’époque le port était optimiste, lui qui débarquait de forts tonnages de sardines, d’anchois et de thons sans négliger la pêche côtière que les sardiniers pratiquent l’hiver, tandis qu’à la même saison les civeliers sillonnent l’estuaire de la Vie.

A partir de 2000, l’horizon s’est s’obscurci. Pour certaines espèces pêchées intensivement, les réserves halieutiques s’épuisaient. Bruxelles décida des mesures drastiques. En France, le plan Mellick conduira à la destruction de nombreuses unités du port et à la dispersion de leurs équipages détruisant autant de savoir faire collectifs et des pans entiers de la culture maritime.

Et maintenant ? La criée de Saint Gilles Croix de Vie occupe la 29ème place sur les 36 que compte la France avec 3 378 tonnes de poissons dont 2 285 tonnes de sardines. Elle assure la vente de 86 espèces de poissons et 4 de crustacés et fruits de mer pour une valeur de 6,3 millions d’euros en 2014. Depuis 2011, la vente est en ligne suivie par une vingtaine d’abonnés. La criée est alimentée par une flottille de 44 unités manoeuvrées par 110 marins qui pratiquent trois types de pêche : au large pendant 3 à 5 jours, côtière de 1 à 3 jours et la petite pêche à la journée. La criée écoule les 7 prises en 3 ventes par jour s’échelonnant de 5h30, 7h à 14h30 tandis que la vente de la sardine s’effectue à la saison en continu. Alors que le port de Saint Gilles Croix de Vie garde ses caractéristiques de port de pêche authentique, des menaces sérieuses se sont profilées sur l’avenir de sa criée à compter du 1er janvier 2017 au profit du port des Sables d’Olonne dans le cadre d’une politique de rentabilisation des équipements et des infrastructures maritimes. Cette approche quantitative ne prenant pas en compte le rôle moteur des activités du port sur le dynamisme du tourisme et plus largement de l’ensemble du littoral a heurté les élus locaux. C’était aussi tenir pour peu le rôle économique et social du port et de sa criée qui génèrent plus de 200 emplois sans compter les activités qui leurs sont liées. Ils décidèrent, le 5 février 2015, de doter l’intercommunalité d’une compétence maritime renforcée incluant les ports de plaisance et le port de Saint Gilles Croix de Vie.
Depuis lors il revient à la Communauté de Communes d’élaborer son projet maritime pour le développement du Pays de Saint Gilles Croix de Vie. Trois axes seront à satisfaire : – Promouvoir le label « poisson de Saint Gilles Croix de Vie » au service des pêcheurs et des mareyeurs locaux. – Redynamiser la gestion des équipements du port dont en 2013, la Chambre Régionale des Comptes avait mis en évidence la rentabilité et le fort potentiel, – Poursuivre la mutualisation les services entre le port de plaisance géré par la SEMVIE et le port de pêche. Des études sont déjà lancées afi n de concrétiser ces perspectives et de rassurer quant à l’impact financier de la décision sur le budget de la Communauté de Communes et plus largement sur la fiscalité locale. La criée dite aussi centre de marée est le noeud des échanges entre pêcheurs, usines de conserve et mareyage. Depuis 2015, les décideurs locaux se sont montrés déterminés à maintenir cet équipement indispensable à l’avenir du port et des métiers de la mer. Facteur décisif de notre identité collective, il est la source de notre attractivité touristique. Les faits donnent raison aux élus qui misent sur notre criée dont le tonnage de poisson vendu ne cesse d’augmenter.

*Du nom de l’inventeur, Nicolas Appert (1774-1841) qui mis au point la conservation de longue durée des aliments par la chaleur.

Michelle Boulègue
Sources :
Gilles Héraud, ancien directeur de la criée.
Louis Vrignaud, dont les mémoires « J’ai posé mon sac à terre » (2005) sont un témoignage vivant d’une tranche de la vie du port.