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Bulletin 2022 L’OCEAN, INCONTOURNABLE ACTEUR DE SAINT-GILLES-CROIX-DE-VIE.

LES POULPES EN TERRAIN CONQUIS

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LES POULPES EN TERRAIN CONQUIS ?

Les marins pêcheurs s’en inquiètent. De- puis juillet 2021, les poulpes s’invitent dans les chaluts et les casiers, en masse quand les crabes et les homards les désertent.

Un poulpe

Dans le même temps, la sardine, bien que présente, est trop petite pour être mise en boîte. Les crevettes aussi se font rares. Du coup leur prix augmente. Sur les étals des poissonniers, les dorades royales et les bars sont moins souvent pêchés que dans la Manche.

Les mareyeurs s’inquiètent de ne pouvoir faire face aux demandes de leurs clients lors des fêtes de fin d’année tant des espèces recherchées manquent à l’appel, faisant monter leur prix à des niveaux inégalés. Les criées de la côte atlantique enregistrent des tonnages inédits de poulpes, jusqu’à vingt fois plus sur les côtes bretonnes que l’an dernier. A 7 € le kilo ce mollusque trouve preneur sur le marché international, recherché par les consommateurs du bassin méditerranéen, les Espagnols et les Portugais, qui savent le cuisiner depuis l’antiquité. De tout temps, les seiches et les encornets sont pêchés le long de nos côtes et nos cuisinières et cuisiniers savent aussi en faire des plats savoureux.

Les usines de conserves vont-elles devoir s’habituer à traiter ce nouvel arrivant ? Assistons-nous à une épisode transitoire ou à un changement profond et durable ?

Les hypothèses s’échafaudent. Le réchauffement climatique semble l’explication la plus souvent évoquée qui, contrairement à d’autres espèces, semble favorable aux céphalopodes. Pourquoi et que sait-on des poulpes ?

Les poulpes, les seiches et les calamars appartiennent à la catégorie des céphalopodes apparue à la fin du cambrien il y a 500 000 ans. Ce sont des mollusques dé- pourvu de squelettes, dotés d’un cerveau et d’un système nerveux très développé jusqu’au bout de leurs tentacules dont la moindre ventouse compte au moins 10 000 neurones. Ainsi doté, le poulpe, de la même famille que l’huitre, mais plus malin, est capable de dévisser le couvercle de la boite dans lequel il a été enfermé. Il apprend, reconnaît et s’adapte. Bénéficiant d’une croissance rapide, sa courte vie de deux ans est compensée par une grande capacité de reproduction. Le menu de ce carnassier vorace se compose essentiellement de petits poissons, de crabes, de crustacés et de homards qu’il dévore chaque jour pour le 1/3 de son poids. La surpêche qui déstabilise la chaîne alimentaire marine laisse de la place à des opportunistes tels que les céphalopodes. Les scientifiques australiens, constatent que «l’augmentation de leur nombre pourrait avoir un impact sur les espèces qui sont leurs proies, comme certains poissons et crustacés», et plus largement sur la chaîne alimentaire marine et même la pêche. C’est le constat des marins pêcheurs qui remontent des poissons amaigris par le manque de nutriments et des caseyeurs en concurrence avec les poulpes qui vident de leurs substances crabes, homards et coquilles Saint-Jacques.

Une autre cause déterminante de déstabilisation de la chaîne alimentaire est le réchauffement climatique. Il met sous tension l’écosystème en diminuant les nutriments qui remontent des profondeurs et en augmentant le niveau d’acidification entravant le développement des squelettes et carapaces des vertébrés marins et des crustacés. Les pêcheurs confirment ces observations en constatant la diminution en nombre et en taille de leurs prises affectées par les modifications subies par le réseau trophique*.

Les Cephalopodes

Comment les céphalopodes régissent-ils à ces modifications du milieu maritime ? Opportunistes, ils adaptent leur menu à leur milieu et occupent les places laissées libres dans la chaîne alimentaire déstabilisée par le réchauffement climatique. De plus, dépourvus de squelette les poulpes ne sont pas affectés par l’acidification des mers.

Réseau trophique marin *Un réseau trophique est un ensemble de chaînes alimentaires reliées entre elles au sein d’un écosystème et par lesquelles l’énergie et la biomasse circulent (échanges d’éléments tels que le flux de carbone et d’azote entre les diffé- rents niveaux de la chaîne alimentaire, échange de carbone entre les végétaux autotrophes et les hétérotrophes.)

Cette résistance est également constatée dans les mers australes.

Des chercheurs australiens ont en effet rassemblé et analysé les taux de prises de pêche de ces animaux marins entre 1953 et 2013. Ils ont constaté que les populations des 35 espèces de céphalopodes observées augmentaient de façon continue.

Conclusion.

Les impacts du réchauffement, de la désoxygénation, de l’élévation de température et de l’acidification de l’océan sur les écosystèmes marins vont se combiner avec les autres effets des activités humaines, comme la surexploitation des ressources biologiques, la destruction des habitats et la pollution. L’ensemble des organismes vivants sont affectés par ces évolutions.

Les travaux du GIEC ont préparé les engagements pris lors de la COP 21 et de la COP26. Il est urgent de lutter contre le réchauffe- ment climatique en diminuant les émissions de CO2 responsable de l’acidification des eaux marines et d’aider les écosystèmes à résister. Les Etats signataires doivent adopter les politiques alternatives aux énergies fossiles, diminuer les pollutions des eaux, des airs et de la terre, créer des aires de restauration des écosystèmes.

Si rien n’est fait, le poulpe a de beaux jours devant lui. Il est un émissaire annonciateur des temps à venir. Il nous revient de comprendre ce message, au milieu de tant d’autres non moins explicites, et de prendre les mesures qui s’imposent afin de préserver le vivant sous toutes ses formes sur notre planète.

Il y a urgence !

Michelle Boulègue

Sources :

LES RAPPORT D’EVALUATION ET DE PREVISION DU GIEC ( Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat ).Illustrations : WIKIPEDIA

 

Bulletin 2022 L’OCEAN, INCONTOURNABLE ACTEUR DE SAINT-GILLES-CROIX-DE-VIE.

NARCISSE PELLETIER, GARDIEN DE PHARE

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NARCISSE PELLETIER, GARDIEN DE PHARE

Elie, penché à la fenêtre de son compar- timent cherche son frère du regard. Narcisse a déjà disparu.

Pourtant il avait tenu à l’accompagner jusqu’à cette gare de Saint-Nazaire, laissant à sa jeune épousée Louise et à la mère de celle-ci le soin de s’occuper des derniers invités que le couple avait réunis chez eux pour fêter leur noce.

Narcisse Pelletier photographié par Alexandre Henri Lamartinière à Sydney, fin mai début juin 1875.

(Royal Historical Society de Queensland).

Elie se rassied, laissant échapper un léger soupir. Il ne parvient pas à dissiper le malaise que lui laissent les paroles de Narcisse. Une sorte de tristesse, bien éloignée de la gaieté qui l’avait accompagné hier, tout à la joie d’assister en qualité de témoin, au mariage de Narcisse et de Louise. Quel chemin parcouru depuis ce 13 décembre 1875, à Toulon où il prenait son frère dans ses bras à la porte de l’Arsenal, à peine débarqué du « Jura », après 17 ans d’absence, de ce deuil qu’il s’interdisait pour ne pas provoquer le sort. Comment ne pas le croire irrémédiablement disparu dans le naufrage du « Saint Paul », au large des côtes australiennes ? Obstinément, moins que tout autre, leur mère ne l’avait jamais accepté, sollicitant à plusieurs reprises des nouvelles de son fils auprès du Consul de France.

Elie saisit son journal et l’ouvre en faisant claquer les pages pour mieux le déployer. Rien à faire, son esprit s’évade et le ramène sans cesse à Narcisse. Il se revoit, ce matin même, en ce 18 octobre 1880 dans la salle des mariages, faisant une accolade chaleureuse à son frère qui vient de signer le registre. Elie est encore glacé par le regard vide, comme absent à lui-même, que Narcisse lui adressa alors.

Plus tard, marchant épaule contre épaule auprès de son frère, vers le logement de Narcisse où les attendait le repas de noce, Elie tenta de rompre le silence.

C’est un grand jour Narcisse, après tout ce que tu as vécu. Te voilà marié à Louise. C’est une bien gentille fille qu’Alphonse, notre frère, t’a fait rencontrer. Trois ans, déjà, que tu es nommé gardien du phare de l’Aiguillon. Poste bien mérité après tout ce que tu as enduré. Tu as devant toi, devant vous deux, une nouvelle vie…

Narcisse se retourna alors d’un coup, comme emporté par la colère, dressé face à son frère, torse contre torse.

Quelle vie ? Tu parles comme tous ces encravatés. Avant d’être fait prisonnier sur le « John Bel », j’avais une vie. Chaque geste de chaque jour me donnait de quoi exister, faisait mon existence et me donnait le sentiment d’exister. Là, j’avais une vie.

Tu continues bien à vivre depuis ton retour. Tu nous as retrouvés, nous, ta famille. Tu as un poste sûr et un logement donnés par le ministère des Travaux Publics. Tu viens de te marier. C’est bien ta vie qui se poursuit et tu en es l’artisan !

Je sais bien ce que je te dois, à toi, au ministère de la Marine, à Alphonse. Je ne suis ni ingrat ni dupe. Avec ce poste, «la Marine» a voulu m’offrir une « juste compensation » comme ils disent. A croire qu’ils avaient peur que je leur fasse un procès. Quoique, si je tiens Pinard un jour… Mon mariage c’est un accord. Un bon accord. A elles deux, Louise et sa mère vont se partager les tâches sans chamailleries. J’aurai la tranquillité et une maison tenue. C’est bien qu’elles soient deux, une vieille et une jeune, l’une pour apprendre à l’autre. La jeune pour soulager la vieille. C’est comme ça qu’il faut faire. Comme Maadman (1) l’a fait.

Le phare de l’Aiguillon.

Tu es toujours un peu là-bas!

A t’entendre, on dirait que j’aurais tort !

Ça ne t’aide pas à tourner la page?

Et si je ne le veux pas ? Mais tu as raison. Je sais bien que je ne les reverrai jamais. C’est bien pire que lorsque je suis resté avec les aborigènes, comme vous dites. Dans ce temps-là, j’étais si occupé à apprendre à vivre avec eux, comme eux, que je vous ai effacés de mon esprit petit à petit et quand il me revenait des images, des sons, des mots, c’était comme dans un rêve, sans douleur. Vous étiez ailleurs, autrement. Alors que depuis que j’ai repris pied dans mon monde comme vous dites, je suis comme amputé, à vif, de ma part de vie avec le clan.

Amputé?

Oui ! Une vraie mutilation, une déchirure irréparable qui me laisse infirme, sans goût pour vivre. Juste bon à faire mes tâches les unes après les autres. Je n’arrive pas à faire comprendre ni à faire partager ce que j’ai vécu. Je n’arrive pas non plus à oublier. Avec le clan, je suis entré dans l’âge adulte et j’ai appris d’eux ce qui m’a permis d’y parvenir, plutôt bien et pas sans peine. Il faut savoir beaucoup de choses pour vivre en pleine nature. Mais qui ça intéresse ? J’ai essayé. J’ai vite compris que le monde d’ici se croit supérieur et méprise ce qui lui échappe, passé le temps des curiosités à satisfaire. Comme si j’étais un voyageur, un explorateur. Au cours du voyage de retour, dès Nouméa, j’ai compris que je ne devais pas manifester de l’attachement à cette part de ma vie. C’est reçu ici comme une insulte. Autant me taire. De toutes les façons, je ne dirai jamais rien des secrets du clan. Peut-être même que d’essayer de faire comprendre la vie de là-bas pourrait me faire perdre les quelques avantages que je retire de cette situation que je n’ai pas choisie.

Narcisse Pelletier n’hésitait pas à se joindre aux haleurs.

Je ne comprends pas d’où te vient ce sentiment de vide et d’injustice. Tu viens de te donner de quoi te combler. Rien qu’aujourd’hui. C’est quand même ton jour de mariage !

Laissons mon mariage de côté. Ce n’est pas ton affaire. Je vais essayer de te dire ce que je ressens. Je te le dois bien. Je t’ai déjà raconté que le plus grand bienfait à espérer dans la prochaine vie, c’est d’avoir toujours de la bonne eau à boire. Pour ça il y a un moyen, s’enlever une incisive du bas. Je n’ai jamais voulu le faire.

Je ne vois pas bien où tu veux en venir.

J’y viens. Ici, l’eau est au puits ou mieux encore à la pompe, sans effort, sans avoir des heures de marche à endurer, à veiller les uns sur les autres pour s’éviter les mauvais pas et les mauvaises rencontres. Mais quand tu trouves cette eau, quelle jouissance pour toi et pour ceux de ton clan. Tu te sens exister, dans le groupe, avec le groupe. C’est une joie si puissante que tous on veut se l’assurer dans notre prochaine vie

Le phare de l’Aiguillon. Photo publiée par le

« Courrier de Saint-Nazaire » du 13 /08 /1933.

Ici, quand tu tires un verre d’eau à la pompe tu éprouves, tout au plus, le plaisir de la satiété. La technique remplace l’effort, et le partage des efforts. La modernité, comme on dit, fait perdre le contact avec les choses de la vie, avec le sens de l’existence avec les autres et tout se vide de sens. Mais je sais que je ne renoncerai plus jamais aux facilités de la pompe. Je suis écartelé et ne peux m’en expliquer sans risquer de me faire rejeter ici, quand j’ai déjà perdu cet ailleurs qui m’a fait. C’est ce que je ressens. Mais qui ça intéresse ? »

Elie se redresse sur son siège comme pour rejeter le poids de cette évocation. Il ressent la souffrance dans laquelle s’enfonce irrémédiablement Narcisse, une souffrance que lui infligent trop d’occidentaux incapables de comprendre sa fidélité à sa part australe et à ses racines. C’est la souffrance qu’il s’impose à lui-même en refusant de faire le deuil de cette part de sa vie passée au bout du monde.

A Saint-Nazaire, au cimetière de la Briandais, le 28 septembre 2021, jour anniversaire de la mort de Narcisse Pelletier en 1894, les « Amis de Narcisse Pelletier » se sont réunis. Au cours de cette petite cérémonie autour de la tombe restaurée par l’association, les maires de Saint-Gilles-Croix-de-Vie et de Saint-Nazaire ont répandu quelques poignées de sable d’une plage gillocrucienne.

«S’il était décédé là-bas, il aurait eu droit à une sépulture sur la plage, avec un monticule de sable et quelques objets rituels» a rappelé Serge Aillery, président des «Amis de Narcisse Pelletier».

A l’époque, l’histoire de Narcisse Pelletier a profondément bouleversé ses contemporains. Aujourd’hui elle continue d’interpeller nos capacités d’accueil, d’écoute et de compréhension, personnelles et collectives, des différents parcours culturels et personnels qui forgent chacune des histoires de vie dans notre monde d’aujourd’hui.

Michelle Boulègue

QUELQUES DATES DE LA VIE DE NARCISSE PELLETIER.

  • 1er janvier 1844 : Naissance de Narcisse Pelletier à Saint-Gilles-sur-Vie d’Alphonsine Babin et de Martin Pelletier.
  • 10 octobre 1854 : Renvoi de l’école primaire de Saint-Gilles-sur-Vie.
  • Du 15 mai au 17 septembre 1855 : em barquement sur la chaloupe «le Furet» dont le second est son grand-père Pierre Babin.
  • Du 12 mai au 15 octobre 1856 : embarquement aux Sables d’Olonne comme mousse sur le sloop «l’Eugénie » et débarquement à Luçon.
  • Du 24 octobre 1856 au 29 juillet 1857 : embarquement à Bordeaux comme mousse sur la « Reine des Mers ». Débarquement à Marseille suite à des problèmes avec le second.
  • Juillet 1858 : Escale à Hong Kong en direction de Sydney avec 317 coolies chinois.
  • 11 septembre 1858 : Echouage du «Saint Paul» près de l’îlot Héron au nord de l’île Rossel.
  • Septembre 1858 : Départ en chaloupe du capitaine Pinard et d’une dizaine de marins dont Narcisse Pelletier pour chercher du secours.
  • Fin septembre 1858 : Arrivée de la chaloupe sur les côtes du littoral nord/ouest de l’Australie. Abandon de Narcisse Pelletier et recueil de Narcisse par un groupe aborigène les Ohanthaala du groupe linguistique des Uutaalnganu.
  • 11 avril 1875 : Capture de Narcisse Pelletier par le capitaine Frazer du navire anglais le « John Bell ».
  • 13 décembre 1876 : Arrivée du « Jura » à Toulon où Narcisse est accueilli par son frère Elie.
  • 2 janvier 1876 : Retour à Saint-Gilles-sur-Vie et fête en l’honneur de Narcisse Pelletier.
  • 10 février 1876 : Réponse du ministère des Travaux Publics accordant à Narcisse Pelletier un poste de gardien de phare à Saint-Nazaire.
  • 18 octobre 1880 : Mariage de Narcisse Pelletier.
  • 28 septembre 1894 : Décès de Narcisse Pelletier à son domicile à Saint-Nazaire à 50 ans.

Maadman, nom du père adoptif révélé par Narcisse Pelletier, membre du clan des Ohantaala du groupe linguistique des Uutaalnganu.

Sources :

« Narcisse Pelletier, La vraie Histoire du sauvage blanc »

Prix du livre « Mémoires de la mer » 2017, par Thomas Duranteau et Xavier Porteau. Éditions ELYTIS 2016.

Documentaire : « Narcisse Pelletier, Aborigène, Naufragé », produit par France-Télévision.

Entretien avec Serge Aillery et Xavier Porteau, respec- tivement secrétaire et membre des « Amis de Narcisse Pelletier ». Saint-Gilles-Croix-de-Vie, septembre 2020. Illustrations :

« Courrier de Saint-Nazaire » du 13 mai 1933.

« Vieux visage de Saint-Nazaire » « Les Haleurs » – Dessin à la plume de CH. Beilvaire.

« Le phare de l’Aiguillon » -Archives photographiques du « Courrier de Saint-Nazaire ».

Photo de Narcisse Pelletier par Alexandre Henri Lamartinière à Sydney fin mai-début juin 1875 (Royal Historical Society of Queensland).

QUELQUES ÉLÉMENTS SUR LA VIE DE NAR- CISSE PELLETIER APRÈS SON RETOUR EN FRANCE.

Le ministère de la Marine accorda à Narcisse la fonction de gardien du phare de l’Aiguillon à Saint-Nazaire. A l’époque il n’y avait pas de constructions autour, les chalets construits dans le vallon qui descend à la plage de Port Charlotte n’avait pas encore été édifiés par le marchand de vin Jean-Baptiste Lechat pour ses enfants. L’habitation la plus proche était la maison du pilotage de la pointe de l’Eve, remplacée ensuite par un fort. Autour ce n’était que pâturages balayés par les vents et bornés de quelques buissons bas. L’Aiguillon était qualifié de « phare de purgatoire », celui des Charpentiers en pleine mer « d’enfer », et celui de Kerlédé, à l’intérieur des terres, « de paradis ».

Narcisse vécut au phare de l’Aiguillon dans un grand isolement, entretenant des relations tendues avec les garde-feux qui avaient eu le tort de le surnommer « le Sauvage ». Ils avaient essuyé de sa part une terrible colère ponctuée d’un cri strident appris dans le bush. La mémoire nazairienne dit que ce cri provoquait des frissons à ceux qui l’entendaient.

Narcisse était devenu un homme taciturne. Les regards que posaient sur lui les nazairiens en raison des perforations à ses oreilles étaient lourds, tout autant que les rumeurs qui courraient à son sujet. On le disait cannibale, chasseur à l’arc ou à la lance. Il semble, en effet, avoir chassé le lapin sans fusil. On disait aux enfants qu’on irait le chercher s’ils n’achevaient pas leur assiette de soupe…

Cependant Narcisse n’était pas seul à Saint-Nazaire. Son plus jeune frère, Alphonse, y était menuisier, et par son intermédiaire il se fit des amis qui gardèrent de lui l’image d’un homme d’une grande timidité, gentil, séduisant, mais traînant une tristesse infinie. Un détail est resté en mémoire dans sa famille : il lui arrivait d’expliquer la conception qu’avaient les aborigènes de la création du monde, qu’ils nomment « rêve », en réalisant des dessins sur le sable. Il prenait soin à chaque fois d’effacer le dessin à la fin de son récit et à sa place traçait un rond avec une barre entrant dans le bas du rond, qui figurait « le retour à l’origine du créateur »

Bernard de Maisonneuve

 

L’OCEAN, INCONTOURNABLE ACTEUR DE SGXV Non classé

LA MER

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Je vous avais promis une planche sur la mer ; mais la mer sans l’homme n’aurait que peu d’intérêt.

La mer sera présentée à travers l’adolescent, l’apprenti… avant de rejoindre le monde des «grands» de la mer.

Nous ne parlerons pas de la mer sous ses aspects géographiques et physiques ; cette mer-là vous la connaissez mieux que moi et les professeurs de géographie le feraient de façon bien plus précise.

Nous ne parlerons pas non plus de la mer des scientifiques et des écologistes ; ce n’est pas mon métier et cela serait bien trop déprimant ; ni de la mer des plaisan- ciers et de l’intérêt qu’ils y portent, intérêt bien souvent proportionnel à la taille et à la magnificence du navire qu’ils y font évoluer.

Nous ne parlerons pas davantage de la mer des vacanciers qui l’aiment suivant sa température ou la douceur de ses plages.

Mon propos est de vous entretenir de la mer, à travers ceux qui y travaillent, qui y souffrent, qui l’aiment et qui la craignent, de la mer et de ses laboureurs : les Ma- rins Pêcheurs.

Cette mer a bercé mon enfance et ma vie. Mon grand-père et mon père étaient des marins. À la maison, dès mon plus jeune âge, il était question des vents, des marées, des quartiers de lune. Les saisons étaient rythmées par les périodes de pêche. Ce n’était pas l’été mais «la campagne aux thons», pas le printemps mais «l’époque sardinière». L’hiver c’était les «poissons plats» et l’automne «les merlans». Ainsi concrétisait-on le temps dans ma famille. Les dictons fleurissaient à la maison : il était question du «vent d’aval, plein les cales» du «vent d’amont, pas de poissons» du «vent du nord, reste au port» ou bien «petite brise, bonnes prises» et bien d’autres encore.

Nous, les gosses de la côte, cette mer nous fascinait. La fureur de ses éléments durant la tempête, les récits des anciens, la ligne infinie de son horizon, tout cela avait des airs de surnaturel.

Quand nous allions au plus bas des marées d’équinoxe, témoins étonnés de cette mer mystérieuse, au lieu de ramener quelques-uns de ses secrets, nous nous contentions de gros congres et d’énormes dormeurs.

Cette époque s’est achevée à treize ans, enfin délivré de sommaires études à l’école communale, mon embarquement se précisait et allait devenir réalité.

Je pensais être devenu un homme ; père me trouva un embarquement avec un cousin éloigné, en qualité de mousse sur un chalutier mixte, le GRE DES FLOTS.

À la coopérative des marins, père m’acheta bottes, suroît, ciré et tablier, le tout d’un beau jaune couleur du coton enduit d’huile de lin ; c’était un grand bonheur à tel point que je suis resté en tenue de mer toute la journée. Seule ma mère ne semblait pas partager ma joie. Pourquoi ce sentiment ? Après tout ce n’était pas mon problème.

Mon père me disait : «les femmes c’est triste les jours de grand vent, elles ont les yeux fragiles». Deux ou trois jours avant mon embarquement, je suis allé avec la mère à l’église de la paroisse porter un cierge à Saint Pierre, patron des marins. C’était la coutume. Rite ou symbole, en ces temps, je ne savais pas. Puis, le jour du départ arriva. Sur le pont, en compa- gnie des hommes tous affairés aux pré- paratifs du métier, le malaise s’empara de moi. Mon regard se portait vers l’arrière, dans le sillage du navire, vers le phare qui diminuait : c’était le mal de mer!… cela dura toute la marée, trois jours, trois longs jours, couché sur la paillasse que ma mère avait faite avec tant de soin et qui sentait la paille fraîche.

Les marées se succédèrent avec comme souvenir affreux, le mal de mer. Cela ne pouvait plus durer ; ma tâche n’était pas exécutée et le travail d’un mousse, c’est utile sur un bateau. Le patron vint voir mes parents. Après discussion, le père décida de me conduire chez un rebou- teux, dans un petit village du marais ven- déen. Le «soigneur», qui était un homme très grand et dégageait une drôle d’odeur, m’a délivré définitivement du mal de mer. Réalité scientifique ou foi ? Peu importe, seul le résultat compte !

Les marées gardaient leur rythme. Le chalut montait régulièrement du fond, des bons et des mauvais coups ou traits. Nous étions penchés le long du bord, jeunes et vieux, dans une attente infantile de la remontée. Nous étions tous là, guet- tant le cul du chalut. Le souvenir me reste de ces approbations ou de ces silences, suivant l’importance de ce cul, plein ou vide de poissons, venant frapper le flanc du bateau. Sur notre dix-huit mètres, nous étions six liés les uns aux autres et le sachant. Une grande tolérance existait entre nous, seule façon de vivre harmo- nieusement dans une telle promiscuité.

Notre vieux patron «BELONIE», marin sûr, parlant peu, donnait ordres et décisions que personne ne discutait. Il ne nous venait même pas à l’idée qu’ils puissent être différents.

Les saisons passaient ; mon statut évoluait : mousse, novice puis matelot. Le métier de la mer m’avait appris beaucoup de choses sur les hommes : la joie d’une équipe, la solidité d’une entente devant les coups durs.

Le souvenir de ces journées interminables reste intact : quinze à dix-huit heures sur le pont, les bonnes et les mauvaises marées, les bordées à terre dans les ports voisins : bordées au vin rouge, c’était moins cher !

Il y avait un grand sentiment de liberté sur les embarcations ; après les escales de deux ou trois jours, nous nous sen- tions mal dans notre peau dans ces rues étroites pleines de gens pressés, n’ayant pour but que des horaires ou des emplois du temps.

Comme si on pouvait employer le temps! Un vieux marin disait «à amarres larguées, comptes réglés» ; il nous arrivait d’oublier une dernière tournée ou de laisser une fille déçue sur le quai mais, une fois au large, les comptes étaient clairs, la page tournée.

À bord, nous parlions peu. Nous n’avions rien à dire sans doute ou bien les mots ne venaient pas. Mais il n’est pas besoin de paroles pour dire que nous aimions tous ce beau ciel étoilé où l’on a repéré la grande ourse ou Cassiopée, un beau soleil levant ou couchant, une mer du large, rose, couverte de plancton, un rayon de soleil au travers d’une déferlante ou, par une nuit de printemps, le spectacle des hommes travaillant sur le pont.

Il arrivait aussi la nuit que, dans la lumière des projecteurs, des dizaines d’oiseaux de différentes espèces, viennent s’écraser sur les vitres de la passerelle ou les agrès de la mâture. Cette lumière, tout être vient à sa rencontre. L’homme la chérit encore plus car il la veut au dehors comme au dedans. Nous n’en parlions pas, nous étions bien.

Les années passaient avec leurs apports de connaissances ; beau temps et gros temps se succédaient.

Je me souviens d’un autre patron, aussi sûr que le premier qui disait «la mer n’aime pas ou ne garde pas les incompétents». Il nous rapportait, lors d’un coup de tabac «écoutez les gars, le bateau qui chante» ; c’est impressionnant, surtout de nuit, d’entendre les membrures d’un chalutier craquer, se plaindre. Quand il retombe plus ou moins bien dans un creux, parfois sur le flanc, tout frémit jusqu’à la quille. Une petite angoisse, la gorge sèche, un petit point au creux du ventre c’est peut- être cela la peur ? En ces moments j’ai vu des hommes se signer discrètement, pour ensuite se retrouver joyeux, bien vi- vants autour d’une «moke» de café géné- reusement mouillée de gnole du pays en se disant «ç’aurait pu être plus méchant».

Et les quarts ? Quart de jour, quart de nuit où l’on est seul avec la mer, maître du navire, les compagnons se reposant. On éprouvait un sentiment indéfinissable de pouvoir changer les choses à son gré…

Tel est ce métier avec ses doubles joies ; celle du retour : retrouver ceux qu’on aime, celle du départ, sentiment plus obscur d’indépendance.

Voilà ce que ressent encore un ancien marin pêcheur.

Je terminerai avec ces vers d’un grand navigateur :

«HOMME LIBRE, TOUJOURS TU CHERIRAS LA MER»

Sylvain Rebeyrotte

 

LA MER

Je vous avais promis une planche sur la mer ; mais la mer sans l’homme n’aurait que peu d’intérêt.

La mer sera présentée à travers l’adolescent, l’apprenti… avant de rejoindre le monde des «grands» de la mer.

Nous ne parlerons pas de la mer sous ses aspects géographiques et physiques ; cette mer-là vous la connaissez mieux que moi et les professeurs de géographie le feraient de façon bien plus précise.

Nous ne parlerons pas non plus de la mer des scientifiques et des écologistes ; ce n’est pas mon métier et cela serait bien trop déprimant ; ni de la mer des plaisan- ciers et de l’intérêt qu’ils y portent, intérêt bien souvent proportionnel à la taille et à la magnificence du navire qu’ils y font évoluer.

Nous ne parlerons pas davantage de la mer des vacanciers qui l’aiment suivant sa température ou la douceur de ses plages.

Mon propos est de vous entretenir de la mer, à travers ceux qui y travaillent, qui y souffrent, qui l’aiment et qui la craignent, de la mer et de ses laboureurs : les Ma- rins Pêcheurs.

Cette mer a bercé mon enfance et ma vie. Mon grand-père et mon père étaient des marins. À la maison, dès mon plus jeune âge, il était question des vents, des marées, des quartiers de lune. Les saisons étaient rythmées par les périodes de pêche. Ce n’était pas l’été mais «la campagne aux thons», pas le printemps mais «l’époque sardinière». L’hiver c’était les «poissons plats» et l’automne «les merlans». Ainsi concrétisait-on le temps dans ma famille. Les dictons fleurissaient à la maison : il était question du «vent d’aval, plein les cales» du «vent d’amont, pas de poissons» du «vent du nord, reste au port» ou bien «petite brise, bonnes prises» et bien d’autres encore.

Nous, les gosses de la côte, cette mer nous fascinait. La fureur de ses éléments durant la tempête, les récits des anciens, la ligne infinie de son horizon, tout cela avait des airs de surnaturel.

Quand nous allions au plus bas des marées d’équinoxe, témoins étonnés de cette mer mystérieuse, au lieu de ramener quelques-uns de ses secrets, nous nous contentions de gros congres et d’énormes dormeurs.

Cette époque s’est achevée à treize ans, enfin délivré de sommaires études à l’école communale, mon embarquement se précisait et allait devenir réalité.

Je pensais être devenu un homme ; père me trouva un embarquement avec un cousin éloigné, en qualité de mousse sur un chalutier mixte, le GRE DES FLOTS.

À la coopérative des marins, père m’acheta bottes, suroît, ciré et tablier, le tout d’un beau jaune couleur du coton enduit d’huile de lin ; c’était un grand bonheur à tel point que je suis resté en tenue de mer toute la journée. Seule ma mère ne semblait pas partager ma joie. Pourquoi ce sentiment ? Après tout ce n’était pas mon problème.

Mon père me disait : «les femmes c’est triste les jours de grand vent, elles ont les yeux fragiles». Deux ou trois jours avant mon embarquement, je suis allé avec la mère à l’église de la paroisse porter un cierge à Saint Pierre, patron des marins. C’était la coutume. Rite ou symbole, en ces temps, je ne savais pas. Puis, le jour du départ arriva. Sur le pont, en compa- gnie des hommes tous affairés aux pré- paratifs du métier, le malaise s’empara de moi. Mon regard se portait vers l’arrière, dans le sillage du navire, vers le phare qui diminuait : c’était le mal de mer!… cela dura toute la marée, trois jours, trois longs jours, couché sur la paillasse que ma mère avait faite avec tant de soin et qui sentait la paille fraîche.

Les marées se succédèrent avec comme souvenir affreux, le mal de mer. Cela ne pouvait plus durer ; ma tâche n’était pas exécutée et le travail d’un mousse, c’est utile sur un bateau. Le patron vint voir mes parents. Après discussion, le père décida de me conduire chez un rebou- teux, dans un petit village du marais ven- déen. Le «soigneur», qui était un homme très grand et dégageait une drôle d’odeur, m’a délivré définitivement du mal de mer. Réalité scientifique ou foi ? Peu importe, seul le résultat compte !

Les marées gardaient leur rythme. Le chalut montait régulièrement du fond, des bons et des mauvais coups ou traits. Nous étions penchés le long du bord, jeunes et vieux, dans une attente infantile de la remontée. Nous étions tous là, guet- tant le cul du chalut. Le souvenir me reste de ces approbations ou de ces silences, suivant l’importance de ce cul, plein ou vide de poissons, venant frapper le flanc du bateau. Sur notre dix-huit mètres, nous étions six liés les uns aux autres et le sachant. Une grande tolérance existait entre nous, seule façon de vivre harmo- nieusement dans une telle promiscuité.

Notre vieux patron «BELONIE», marin sûr, parlant peu, donnait ordres et décisions que personne ne discutait. Il ne nous venait même pas à l’idée qu’ils puissent être différents.

Les saisons passaient ; mon statut évo- luait : mousse, novice puis matelot. Le métier de la mer m’avait appris beaucoup de choses sur les hommes : la joie d’une équipe, la solidité d’une entente devant les coups durs.

Le souvenir de ces journées intermi- nables reste intact : quinze à dix-huit heures sur le pont, les bonnes et les mau- vaises marées, les bordées à terre dans les ports voisins : bordées au vin rouge, c’était moins cher !

Il y avait un grand sentiment de liberté sur les embarcations ; après les escales de deux ou trois jours, nous nous sen- tions mal dans notre peau dans ces rues étroites pleines de gens pressés, n’ayant pour but que des horaires ou des emplois du temps.

Comme si on pouvait employer le temps! Un vieux marin disait «à amarres lar- guées, comptes réglés» ; il nous arrivait d’oublier une dernière tournée ou de laisser une fille déçue sur le quai mais, une fois au large, les comptes étaient clairs, la page tournée.

À bord, nous parlions peu. Nous n’avions rien à dire sans doute ou bien les mots ne venaient pas. Mais il n’est pas besoin de paroles pour dire que nous aimions tous ce beau ciel étoilé où l’on a repéré la grande ourse ou Cassiopée, un beau so- leil levant ou couchant, une mer du large, rose, couverte de plancton, un rayon de soleil au travers d’une déferlante ou, par une nuit de printemps, le spectacle des hommes travaillant sur le pont.

Il arrivait aussi la nuit que, dans la lumière des projecteurs, des dizaines d’oiseaux de différentes espèces, viennent s’écra- ser sur les vitres de la passerelle ou les agrès de la mâture. Cette lumière, tout être vient à sa rencontre. L’homme la chérit encore plus car il la veut au dehors comme au dedans. Nous n’en parlions pas, nous étions bien.

Les années passaient avec leurs apports de connaissances ; beau temps et gros temps se succédaient.

Je me souviens d’un autre patron, aussi sûr que le premier qui disait «la mer n’aime pas ou ne garde pas les incompétents». Il nous rapportait, lors d’un coup de tabac «écoutez les gars, le bateau qui chante» ; c’est impressionnant, surtout de nuit, d’entendre les membrures d’un chalutier craquer, se plaindre. Quand il retombe plus ou moins bien dans un creux, parfois sur le flanc, tout frémit jusqu’à la quille. Une petite angoisse, la gorge sèche, un petit point au creux du ventre c’est peut- être cela la peur ? En ces moments j’ai vu des hommes se signer discrètement, pour ensuite se retrouver joyeux, bien vi- vants autour d’une «moke» de café géné- reusement mouillée de gnole du pays en se disant «ç’aurait pu être plus méchant».

Et les quarts ? Quart de jour, quart de nuit où l’on est seul avec la mer, maître du navire, les compagnons se reposant. On éprouvait un sentiment indéfinissable de pouvoir changer les choses à son gré…

Tel est ce métier avec ses doubles joies ; celle du retour : retrouver ceux qu’on aime, celle du départ, sentiment plus obscur d’indépendance.

Voilà ce que ressent encore un ancien marin pêcheur.

Je terminerai avec ces vers d’un grand navigateur :

«HOMME LIBRE, TOUJOURS TU CHERI- RAS LA MER»

Sylvain Rebeyrotte