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Bulletin 2018 Histoire Récits Mémoire

PAUL BLAIZEAU, UN PRETRE ATYPIQUE.

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Paul Blaizeau avec son frère Hilaire(collection Florentine Blaizeau)

Paul Blaizeau, un prêtre atypique

Je vous propose de faire un petit rappel avant de parler de Paul qui a été curé de Croix-de-Vie durant près de 30 ans, de juillet 1946 à courant 1975. Pour comprendre son ministère il nous faut évoquer ce qui l’a précédé ; dans les années 1800, les marins étaient les mal aimés d’une certaine église ; le taux de pratique religieuse était de l’ordre de 5 % ; 50 ans après, très peu de marins « font leur Pâques » ; pour comprendre ces chiffres, il faut tenir compte de la forte cléricalisation du catholicisme, face à l’offensive laïciste ; il reste que le monde maritime a suscité, sur l’Ile d’Yeu notamment, des vocations missionnaires rayonnantes dotées d’une surprenante capacité prédictive.

L’anticléricalisme qui prévalait à la fin du XIXème siècle n’équivalait pas chez les marins au rejet total de la religion ; on peut constater que beaucoup de bateaux étaient baptisés, un crucifix était souvent accroché dans la cabine du patron, enfin la participation aux services funèbres religieux était forte chez ceux qui côtoyaient la mort bien davantage que les terriens.

A cette époque la dévotion à la Vierge était importante chez ces hommes durs ; Marie était perçue comme la figure maternelle et on la suppliait, dans les grands périls, d’intercéder auprès du Tout Puissant, maître des tempêtes.

On peut noter aussi l’attachement de beaucoup de foyers marins à l’école catholique ; ainsi à Saint- Gilles- sur- Vie, en 1902, un mouvement de protestation s’est créé pour que les religieuses restent dans les terres ; une pétition est signée par la totalité du conseil municipal et par beaucoup de citoyens. Quand les sœurs de Saint Charles prennent la direction d’Angers, la maison mère, elles sont entourées d’un bon millier de personnes dont beaucoup de marins qui s’époumonent en criant « Vive la Liberté, à bas les sectaires, à bas les francs- maçons ! ».

En 1888 a lieu une mission qui attire toutes les classes de la société ; un grand mouvement religieux se manifeste ; une centaine de marins se relayent, croix sur la poitrine et chapelet autour du bras, pour porter d’une façon triomphale une antique statue de Notre Dame de Recouvrance ; mais  c’est aussi la période ou s’exerce une pression cléricale très forte ; le clergé est fortement encouragé à sonder les familles pour qu’émergent des vocations de prêtres afin d’établir « le royaume de Dieu sur terre ». Cela conduit des marins à traiter les prêtres venus du bocage de curaillons.

Paul était l’aîné de 7 enfants ; il est né le 13 octobre 1911 à Saint- Hilaire- de- Voust ; son père Louis était facteur sur la commune et sa mère tenait le bureau de poste ; Paul a fréquenté l’école publique avant d’entrer au petit séminaire de Chavagnes- en- Paillers ; il y avait beaucoup d’amour et de joie dans le nid familial. Louis était musicien et enseignait le solfège et le chant à ses enfants. Il jouait aussi de la clarinette et du saxophone ; c’était un autodidacte en la matière ; sa fille Florentine m’a dit « on chantait toujours à la maison » ; cette tradition s’est perpétuée plus tard quand les parents ont habité près de Paul rue de la Broche à Croix- de -Vie ; la famille aimait se retrouver toute entière auprès de l’harmonium pour chanter à l’église.

 

Paul a été ordonné prêtre le 29 juin 1936 à 25 ans et a été nommé professeur d’anglais au Collège Richelieu à la Roche- sur-Yon ; il a senti tout de suite que ce n’était pas sa vocation lui qui rêvait de terres lointaines comme la Chine ; il a ensuite été nommé comme vicaire à Croix- de- Vie le 7 août 1937 ; le milieu marin fut une grande découverte pour lui ; hélas je n’ai trouvé ni archives ni témoins de ses quatre années passées à Croix- de -Vie. Puis vint la période de mobilisation ou il revint avec un éclat d’obus dans un genoux. Le 1er septembre 1942, nommé vicaire aux Sables- d’Olonne, il est devenu aumônier diocésain de la J.M.C. (jeunesse maritime chrétienne).

Le 22 juillet 1946, comme curé de Croix– de Vie, il retrouvait le monde maritime qu’il chérissait tant ; c’est le 23 août qu’il arriva en grande pompe…par la mer sur une vedette de la marine escortée d’une flottille de bateaux de pêche, accueilli par des chants de marin.

Durant son long ministère Paul a été avant tout l’aumônier, l’ami des marins et de leurs familles. Pour se préparer à cette tâche il avait tenu à suivre une formation en 1938 à l’Ecole Sociale Maritime de Saint- Sevran ; les cours étaient assurés par Louis Lebret et portaient sur le syndicalisme maritime, le capitalisme, les us et coutumes du milieu, les valeurs propres au monde maritime (entraide…) ; Paul était enthousiaste et écrivait à son Vicaire Général du diocèse pour lui dire « cela fait du bien de se retrouver avec un tel maître…cela m’ouvre beaucoup l’esprit et pourtant j’ai fait de bonnes études de sociologie au séminaire ».

Il a toujours été l’animateur d’un groupe de marins chrétiens et il tenait beaucoup à ce que ses vicaires successifs rencontrent les marins au port, à leur domicile dans le cadre des visites paroissiales ; la J.M.C. était très florissante à Croix- de- Vie et comprenait après la guerre une vingtaine de membres ; En 1965, elle a été à l’origine d’une exposition très intéressante sur le métier de marin avec des panneaux d’information, 2 maquettes de bateaux, des filets et du matériel de pêche ; je l’avais visitée à l’époque et avait été très impressionné par le dynamisme et l’esprit créatif qui régnait dans cette équipe de jeunes.

Paul, toujours bien en verve, avait un don inné pour la prédication ; il captivait son auditoire à tel point que des giras et des girases traversaient le pont pour l’écouter ; il savait parler de l’Évangile en termes simples ; pour lui l’a.b.c de tout chrétien devait se résumer à cette parole du Christ rapportée par l’apôtre Jean « Celui qui dit aimer Dieu, alors qu’il a de la haine contre son frère, est un menteur ».

Certains paroissiens ne l’aimaient pas comme cette femme écrivant à l’évêché en invoquant « ce curé qui n’était jamais là et qui passait son temps à boire un coup avec Les marins ».

Paul accordait beaucoup d’importance à la culture ; il a, avec Marie Thérèse Boité, donné beaucoup d’extension à la bibliothèque paroissiale et tenait à évoquer les ouvrages nouveaux dans le bulletin paroissial ; il lisait beaucoup et montait régulièrement à Nantes, à la librairie Lanoë, faire une provision de livres ; il organisait régulièrement des conférences dans le cadre de la paroisse et du Cercle Notre Dame du Bon Port (nous y reviendrons) ; elles portaient sur des sujets très variés :

L’Eglise et la Paix en 1953 avec Me Robert, la Chine en 1958 avec Mr Rochereau, l’U.R.S.S. en 1961 avec Mr Mabit, la Bible en 1964 avec le chanoine Vernet, « comment la Vendée faillit devenir protestante » en 1971 avec lui-même etc.

Revenons à Paul ami des marins ; ce dernier était très soucieux de voir ces derniers gagner leur vie par ce dur labeur ; il accordait beaucoup d’importance à tout ce qui favorisait l’entraide entre gens de mer. C’est ainsi, qu’après une saison sardinière catastrophique en 1955, il lança un appel à la solidarité invoquant la détresse des pêcheurs et invitant ses paroissiens et les autres à tout faire pour que « les familles ne souffrent pas du froid et de la faim cet hiver ». La paroisse organisa un gala de solidarité qui eut lieu le 11 novembre au cinéma Familial avec un groupe folklorique de Saint Gervais « les Joyeux Corsaires ». Cet appel fut relayé par l’évêque qui, dans un communiqué, évoquait les pêcheurs dont le gain se situait pour la plupart entre 60 000 et 65 000 F. L’évêque décida de renoncer au produit la quête de la Toussaint pour les séminaires et de l’affecter toute entière aux familles des pêcheurs les plus éprouvées.

C’est à cette époque qu’un groupe de marins dit à Paul « Monsieur le curé si vous tombiez à l’eau on serait dix à se disputer pour aller vous chercher ».

A mettre aussi, à l’actif de Paul, l’émergence du Cercle Notre Dame du Bon Port qui existe toujours (Présidente Andrée Simon – 70 membres environ). Le cercle était surtout fréquenté par des gens de milieu populaire. Il   y régnait un bon esprit de camaraderie et on y jouait aux jeux de société et surtout aux boules le samedi soir ; le repas annuel, préparé par des femmes, donnait lieu au débouchage de bonnes bouteilles et à des chants répétés par toute l’assistance. Un voyage était organisé tous les ans ; les bénéfices de l’association allaient au secours Catholique et aux écoles libres.

Homme qui savait transmettre ses talents Paul avait, comme tout un chacun, quelques défauts ; un de ses anciens vicaires me disait récemment qu’il détestait perdre au bridge, ça le mettait de très mauvaise humeur, et il pouvait arrêter une partie en cours ; de même au Cercle quand il était devancé aux boules il lui arrivait, de colère, de jeter ses boules au sol en maugréant « Bon je pars préparer mon sermon pour demain ! » ; ses paroissiens lui pardonnaient volontiers.

Paul était un chaud partisan de la fusion des deux communes, il avait être choqué par l’animosité entretenue de chaque côté de la Vie ; « Lorsque les obsèques avaient lieu à Saint-Gilles et que l’inhumation se déroulait à Croix-de-Vie, on prenait le relai au milieu du pont » relatait-il.

Après 30 ans de vie sacerdotale, à Croix-de-Vie, Paul a éprouvé le besoin de faire un bilan à l’intention de ses paroissiens ; il leur indiquait, un peu mélancolique, que si le flot des estivants avait considérablement grossi, la population de la paroisse avait diminué ; mais en plus positif il indiquait qu’à l’anticléricalisme qui faisait la réputation de la commune s’était substitué quelque chose de plus tolérant, de plus cordial. Il concluait en disant : » je n’ai pas besoin de vous faire un dessin pour vous parler de mes défauts ; vous me connaissez suffisamment ; je vous prie de m’excuser si je vous ai fait souffrir ». Il aimait dire que s’il n’avait pas été prêtre, il aurait choisi le métier d’avocat ou de journaliste.

Après sa mission, Paul est rentré comme aumônier à l’hôpital de Saint- Gilles durant 20 ans ; il est décédé le 4 mars 1998 sur ses 87 ans et son corps a rejoint la tombe de ses chers parents à Saint Hilaire- de- Voust.

Paul repose désormais en paix lui qui aimait tant la vie ; une vie bien remplie à l’image d’une de ses devises « être vivant c’est ne pas trimbaler l’ennui ».

 Jean Michel BARREAU

Jm.Barreau9444@orange.fr

Bulletin 2017 Histoire Récits Mémoire

Le pont de la Concorde en quelques dates

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En 1835, un pont suspendu entre les deux rives de  Croix- de- Vie et  de Saint- Gilles- sur- Vie mit d’emblée leurs habitants au diapason des innovations technologiques dont s’enorgueillissait la France. Les frères Escarguel, concessionnaires,  instituèrent un péage. Cette pratique alimenta l’amertume de CroixdeViots qui eurent à en supporter la charge plus particulièrement car ce péage s’appliquait aux passages allant de Croix- de- Vie à Saint- Gilles où se concentrait l’essentiel des administrations (1).

En 1845, le pont suspendu commença à donner des signes de délabrement alarmant. La préfecture de Vendée exigea,  le 19 novembre de la même année, des réparations dont, en priorité, le remplacement du plancher en bois si pourri qu’un charretier  se tua en passant au travers avec son chargement.

Le 8 janvier 1860, le maire de Croix- de- Vie dut signaler à la Préfecture la rupture des barres  de suspension, ce qui valut aux concessionnaires une troisième injonction à procéder d’urgence  et à leur charge aux réparations.

 En 1882, inauguration d’un nouveau métallique qui d’un seul  jet de 57 mètres enjamba la Vie en s’appuyant sur deux arches de pierres soutenant 3 travées de 19 mètres chacune.  Il était temps car la patience des riverains  était à bout après une succession de réparations de plus en plus in suffisantes.  Une nouvelle fois, ce pont métallique illustra les prouesses technologiques de l’époque.

1887 voit l’arrivée du chemin de fer à Croix- de- Vie dont une gare implantée en bout du quai de la République favorisa l’essor des 12 conserveries de la commune et l’accueil des amateurs de bains de mer. Trente ans plus tard, un train côtier reliant Bourgneuf aux Sables d’Olonnes flanqua, en amont le Pont métallique, traçant une courbe audacieuse au-dessus de la Vie.

 En 1950, les 28 juin et 8 juillet, un rapport alarmant des Ponts et Chaussées  contraignit la Préfecture à imposer aux véhicules une traversée du pont au pas et en sens unique de Saint- Gilles- sur- Vie à Croix- de- Vie ,pour des véhicules n’excédant pas un poids de 12 tonnes tandis que le pont de chemin de fer, reconverti en pont routier provisoire, desservit les flux allant en sens inverse.  Simultanément, les ingénieurs des Ponts et Chaussées(2) lancèrent l’étude d’un nouveau pont.

En 1957, un pont construit selon une nouvelle méthode révolutionnaire, le béton précontraint, remplaça le pont métallique. Plus tard, le pont de chemin de fer  fut démonté, livrant ses arches aux seuls  pêcheurs à la ligne jusqu’à servir de support pour une passerelle métallique dite passerelle « Bénéteau » en 2001.

 Le 1er février  1967,  les maires de Croix -de- Vie  et de Saint- Gilles- sur- Vie  décidèrent la fusion des deux commines. L’idée murissait depuis 1938. Saluant l’évènement et avec l’ambition de  préfigurer, par la même, un avenir plus partagé  le pont fut baptisé « le pont de la concorde ».

Michelle Boulegue

(1) -Il est probable que cette inégalité de traitement soit dû au fait que Saint- Gilles-  sur -Vie ait pu avoir participé au financement. Ce qui reste à établir.
(2) - Il s’agissait des ingénieurs Blondeau, Nauleau et Roger Lévêque. Sources : les archives des Ponts et Chaussées de Vendée.

 

 

 

 

Bulletin 2017 Histoire Récits Mémoire

Coule la Vie sous le pont de la Concorde

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Elle hésitait sur le bord de mes berges, cotillons troussés et sabots serrés dans son baluchon qu’elle cala sous son bras. D’un petit geste de la main elle fit comprendre à l’énergumène qui s’agitait sur l’autre rive qu’elle se lançait dans le courant. Elle redoutait le contact de l’eau glacée. Seul risque à courir en ce petit matin d’avril à marée basse, d’autant que j’avais parsemé mon lit de petits îlots sableux qui ralentissaient le courant.

Vue (depuis le quai Gorin) sur Saint-Gilles-sur-Vie et le pont suspendu sur la Vie (construit en 1835 et démoli
en 1880. (Reproduction par Jean Rémy Couradette d’une lithographie de Charpentier de 1845)

Encore un jeune couple qui allait s’installer sur la Petite Île faute de trouver à se loger à Saint Gilles. Pas de place pour ceux qui manquaient de sous. Sur la rive droite, le seigneur Montausier de la Motte Ruffé n’était pas regardant. Pas assez du point de vue de la Baronne de Riez qui ne manquait jamais de lui rappeler qu’il était son vassal et devait lui rendre compte et surtout des comptes. Je savais tout ça en écoutant les bavardages des passants qui allaient se hâtant le long de mes berges. Il faut dire que le petit coulis d’air froid que j’entraînais depuis le fond des marais jusqu’à mon embouchure ne donnait pas envie de musarder.

En l’an 1575, J’ai compté une quinzaine de chaumières. Plutôt des affûts à canards. Enfoncées dans le sol, elles tentaient de résister aux tempêtes d’hiver et de printemps. Les habitants, les hommes comme les femmes, avaient dû traîner jusqu’à la lande de sable, des  bois de flottage échoués sur la grève et arracher des roches de mer à coup de pioche pour se construire ces huttes coiffées d’un toit de chaume  au faîtage enduit de glaise qui le printemps se transformait en chapeau de mai tant les graines du marais mettaient d’ardeur à s’y épanouir. Parure du pauvre. Même les iris des marais y fleurissaient.

La vie était rude mais possible pour ceux qui n’étaient pas manchots. Un charpentier, venu s’établir près de ce qui n’était pas encore un hameau, a apporté du travail à ceux qui savaient travailler le bois et le fer. Lui aussi a eu maille à partie avec Marie de Beaucaire pour avoir utilisé des pierres de lest sans en avoir payé le prix. N’était pas le seul et tant mieux car les caillons (1) effondrés ralentissaient mon cours et m’ensablaient au point de me faire maudire par les marins.

Un jour j’ai entendu, portée par le vent, une messe chantée à pleine gorge. Les gens se tenaient debout, en plein air, serrés devant leur curé sur le haut de la Petite Ile. Dans l’élan de leur foi, ces paroissiens auraient aidé à ériger une haute croix de bois, obéissant en cela à Marie de Beaucaire qui en aurait décidé ainsi afin de faire comprendre aux quelques familles morisques venues s’installer là à partir de 1609, avec l’autorisation de Henri IV, que ses terres étaient vouées au Christ. On les appelait ainsi car ces familles hispaniques avaient été expulsées d’Espagne par son roi Philippe III du fait de leur lointaine origine marocaine et en dépit de leur conversion au catholicisme, souvent sous contrainte. Cependant, ces nouveaux venus ne sont pas arrivés les mains vides. Ils savaient fabriquer des filets et pêcher en mer. Les gars d’ici en ont vite compris l’intérêt.  C’est depuis que ce groupe de masures a pris le nom de Croix de Riez. Vers 1613, les habitants ont obtenu de la Baronne qu’elle leur construise une chapelle tant la route leur paraissait longue chaque dimanche pour aller suivre les offices à l’église de Saint Hilaire de Riez. Afin de décider des dimensions à donner à cette chapelle elle fit faire un recensement en 1611. C’est ainsi que j’appris que Croix de Riez comptait  160 familles catholiques  et 20 familles ayant embrassé  la religion réformée.

N’en déplaise à Madame la Baronne, les gens commençaient à se dire aussi bien de Croix de Vie que de Croix de Riez. Finalement c’est Croix de Vie qui l’emporta, me faisant leur marraine aussi bien que de ceux de la rive gauche qui se disaient, déjà, de Saint Gilles sur Vie. Parfois, les gens de Croix de Vie devaient aller à Saint Gilles. Particulièrement ceux qui allaient au Temple (2) chaque dimanche. Ils devaient payer l’octroi et se débrouiller pour franchir mes flots. Les tensions religieuses se sont exacerbées jusqu’au massacre de 1622 quand Louis XIII est venu chasser Soubise, le chef militaire que s’étaient donnés les réformés. Il avait déjà pillé l’évêché de Luçon et les Sables d’Olonne quand il vint assiéger Saint Gilles, sûr d’une victoire facile. Il a été bien surpris de la résistance des villageois galvanisés. Vexé il préféra contourner Saint Gilles et me franchir à gué un peu plus haut en amont pour venir prendre ses quartiers à Notre Dame de Riez dont le site lui paraissait sûr. Ce fut de fait une souricière. Il en prit vite conscience et s’enfuya avec ses chevaliers dans la nuit du 21 au 22 avril 1622, livrant le gros de ses troupes aux armées du Roi. Au petit matin de ce jour-là, J’ai vu mes eaux rouges du sang de près de 2500 des hommes de Soubise (3), massacrés par les soldats du Roi et la population déchaînée qui s’acharna sur eux alors qu’ils étaient bloqués sur mes berges par la marée montante.

De fait les communautés établies de part et d’autre de mes rives faisait de mon cours une frontière. A l’obstacle naturel que le représentais je crois bien que les gens y avaient ajouté des différences sociales et religieuses. Malgré tout, il faut bien que les affaires se fassent. Si bien que la nécessité de faire passer les charrettes a obligé à mettre une gabarre en service sans empêcher qu’on se regarde en chien de faïence d’une berge à l’autre. Pas une fête carillonnée sans que les gars ne s’empoignent. Les charivaris de mai en ont laissé plus d’un sur le carreau. Ils ont bien été interdits par les édiles locaux sommés d’agir par la population excédée par ces désordres…. Sans résultat (4). Un matin de Pâques des années 1950, j’entends encore le rire d’un grand père, Croix de Viot, racontant à sa petite- fille ses bagarres homériques avec les gars d’en face. C’est devenu plus calme, à la longue.

Me croiriez- vous si je vous disais qu’il faudra attendre 1811 pour qu’un bac soit mis en service ? Entre temps, les hommes ont continué d’écrire leur histoire. Ils ont fait la révolution sans effacer la frontière que mon cours semblait tracer entre eux. C’est ainsi que Saint Gilles s’est baptisé « Port Fidèle » pour prix de sa fidélité à la révolution. De son côté, Croix de Vie, fidèle au Roi fut appelé « Le Havre de Vie ». Une façon de me rester fidèle à moi aussi ?  Trêve de bavardage. Le temps a continué de couler aussi sûrement que mes eaux et nous voilà en 1815. Encore une insurrection vendéenne qui a opposé bonapartistes et royalistes. Le général Grosbon qui commandait les troupes bonapartistes et redoutait le débarquement des anglais s’était hissé, cet après-midi-là, tout en haut du clocher, armé de sa longue vue. Un éclat de lumière capté par la lunette a donné envie à un gars armé d’une pétoire sur le quai d’en face d’appuyer sur la gâchette au jugé. Bon tir. Le général a eu la mâchoire fracassée et ses hommes qui ne l’aimaient guère tant il était dur le descendirent en le tirant par les pieds, la tête heurtant chaque marche de l’escalier de pierre, sans le tuer.

1835, me voilà aux premières loges pour admirer les prouesses techniques dont les ingénieurs étaient capables. J’ai eu droit à un ouvrage d’art dans la lignée des constructions métalliques qui affirmaient que la France était entrée dans l’ère industrielle par la grande porte. Un pont suspendu m’a franchi d’un seul élan sur une portée de 57 m d’une rive à l’autre. Son reflet dans mes eaux me corsetait d’un treillis du plus bel effet. Les habitants purent enfin aller d’une berge à l’autre sans embarras. Les hostilités s’étaient bien calmées mais les gens continuaient à se dire différents, Saint Gilles, fier de tenir le haut du pavé, laissant volontiers à Croix de Vie, les nuisances, (l’avantage ?)  de la gare. Il faut dire que Croix de Vie disposait de plus de place et que construire la gare en bout de quai face aux douze conserveries implantées sur mes berges côté Croix de Vie tombait sous le sens. Chaque usine avait sa sirène, pour appeler les ouvrières au retour de pêche des bateaux. C’est alors qu’il fallait entendre le train des sabots martelant les rues de terre battue. Chaque minute comptait dans la course à la rentabilité. Déjà. C’est alors que j’ai vu mes berges redressées et maçonnées pour faciliter les débarquements et l’accastillage, côté Saint Gilles, des bateaux de pêches construits par le chantier Bénéteau (1884-1965) sur le quai des Grenier de Croix de Vie.

Un jour de malheur, en 1845, le pont suspendu, mal entretenu par le concessionnaire s’est effondré au passage d’une charrette qui m’est tombée dessus.  Je n’ai rien pu faire pour empêcher le charretier de se noyer. De réparation en réparation, il a bien fallu se résoudre à faire du neuf. En 1881, c’est un fier pont métallique qui s’est reflété dans mes eaux. Il se voulait à la mesure de l’augmentation du trafic. Jugez-en : Deux piles de pierre supportant trois travées de 19 mètres ! Bientôt il a fallu le flanquer d’un pont métallique construit en arc, sur trois piles de pierres, afin de faire passer le chemin de fer reliant Bourgneuf en Retz aux Sables-d’Olonne. Cette fois- ci, Saint Gilles a consenti à se doter d’ une petite gare. Il faut dire que la commune s’était voulue station balnéaire et qu’il fallait pouvoir accueillir dignement les « baigneurs- curistes » de façon aussi moderne que confortable.

A force de me traverser, les habitants ont-ils pris conscience qu’ils formaient une même communauté ?

Toujours est-il que le maire de Croix de Vie finit par convaincre celui de Saint Gilles qu’il était temps de fusionner. Ce n’était pas une idée neuve. La question se débattait de part et d’autre depuis 1938. Il fallut attendre 1967 pour que ce soit chose faite. Le pont fut alors baptisé « Pont de la Concorde. Si l’œuvre fut de longue haleine elle est aussi celle de tous les jours. Jusqu’à se donner un nouveau et même nom ? Ce serait une belle et bonne manière de saluer 5O ans de fusion.

Allons ! Je ne résiste pas au plaisir de suggérer « Havre de Vie ». N’ai-je pas une vocation de marraine ?

Michelle Boulègue

-(1) Caillon désigne les pyramides de pierres de lest empilées le long des berges et des quais afin de mettre ces matériaux à disposition des navires ayant à lester leurs cales de navires en cas de fret insuffisant.

-(2) Le temple fut construit à Saint- Gilles-sur-Vie sur un terrain donné par un seigneur de Montausier, en son fief de la Charoulière, à l’ancienne rue  Noble du Bois. Sources : « Saint Gilles-Croix- de -Vie et environs »  de Henri Renaud, édition 1937.

-(3) Louis XIII et la bataille de l’Isle- de- Rié de Patrick Avrillas –Geste Editions 2013

-(4) Les derniers jours d’avril, les jeunes gens dits « bacheliers » s’emparaient de mats de navires qu’ils décoraient de feuillages et de fleurs, puis, battant du tambour, fusil à l’épaule et cocarde au chapeau, ils allaient de rue en rue, réclamant de l’argent. Enfin le 1er mai avec l’aide de la population, ils dressaient le mat de mai place du Baril (actuelle place aux herbes). Les jeunes filles de la même « classe »que les  bacheliers venaient les rejoindre sur la place et les danses commençaient pour une fête qui pouvait durer une semaine au cours de laquelle les bacheliers s’arrogeaient le droit de « havage » faisant argent  de tout. Les troubles étaient si violents que les bacheliers encoururent l’excommunication en 1698. Des arrêts du parlement du 1er juin 1779 les autorisèrent cependant mais la maréchaussée dut intervenir   en 1781 et 1782. En 1793 l’arbre de la Liberté aurait pu remplacer la tradition du  mat fleuri. Mais en 1815, le mat fleuri de mai se dressait encore place du Baril. Sources « Saint- Gilles- Croix- de- Vie et environs » de Henri Renaud - édition 1937.

Illustration : copie par Jean Rémy Couradette d’une lithographie de Charpentier  de1845 pour un pont construit en 1835 et détruit en 1890. Photo V.I.E.