Il est toujours émouvant et surprenant de trouver des graffiti gravés sur une pierre. Ils témoignent d’une présence humaine et d’une intelligence qui a voulu nous laisser un témoignage symbolique et parfois scientifique. C’est le cas des graffiti trouvés en avril 2012 en haut de la tour «escalier» de l’Eglise Saint Gilles à Saint Gilles Croix de Vie.
Lors d’une étude sur les pierres de lest de navire par l’association VIE, quelle ne fut pas notre surprise de découvrir 8 graffitis que nous pouvons dater du XVe, 1 graffito du XVIIIe et 6 graffiti du XIXe ! Tous gravés sur pierres. D’autres graffiti sont gravés sur bois dont l’un du XIXe est remarquable.
L’Eglise de Saint Gilles, du XIIe siècle, a été détruite en partie au XVe siècle. Elle sera reconstruite en 1613. La tour «escalier», accolée au mur Nord, est antérieure à la construction du XVIIe. Les graffiti se trouvent au somment de la tour, à la porte dite «Nord», près d’une fenêtre ouverte à l’Ouest, soit vers l’ancien port de Saint Gilles sur la VIE. Nous pouvons imaginer un garde faisant le guet en direction de la rivière. Les bateaux et les étoiles s’offrent à sa vue tout au long de la nuit. C’est ce qu’il va graver, au cours de plusieurs nuits, dans l’embrasement en pierre de la porte d’accès à la tour carrée.
Ce graffito représente peut-être un chaland (XVIe/XVIIe) qui faisait du transport sur la rivière : la Vie. Le graffito le plus extraordinaire est celui d’un bateau : charmante nef du XVe/XVIe avec un château arrière esquissé et un château avant pavoisé, un grand mât et deux vergues (basse et haute), une hune avec des javelines. A la poupe une ancre (rouge) est jetée. La représentation d’une longue flamme, associée à une étoile peut rappeler que ces graffiti sont faits par des soldats ou veilleurs qui surveillaient, la nuit, du haut du clocher de St Gilles sur Vie, les bateaux ancrés dans la rivière. Nous pouvons rapprocher ce graffito d’un document manuscrit de 1542, réalisé par Jehan le Florentin, en prévision de rendre navigable la Vie. Le dessin des bateaux est caractéristique de ce XVIe siècle. Les 5 autres graffiti sont des représentations succinctes ou non terminées de bateaux. Le graffito du XVIIIe siècle se trouve dans la voute Ouest de l’Eglise : il est gravé du nom d’un couvreur : JEAN FLORANTIN FLOLANT COUVREUR 1776. Le long de l’embrassement de la porte EST de la Tour carrée, nous voyons des graffiti du XI X e avec ces inscriptions ou signes de tailleurs de pierres : MANON 1817, EMILE POUCLET 1844, PENARD 1862.
Dans le clocher, à la hauteur des cloches, un ancien abri en bois de l’horloge révèle un graffito remarquable : un arbre de vie, avec croix, 1833. Il peut s’agir d’un arbre de Mai, en parallèle avec l’arbre de faîtage que les charpentiers apposent au faîte d’une toiture, par exemple, pour fêter l’achèvement d’une construction et qui donne lieu à une liesse générale sur le chantier. Cette coutume avait son pendant en charpenterie de marine, donnant lieu, lors du lancement du navire, à son pavoisement par feuillages ou branchages et au traditionnel bouquet d’étrave.
Sur un autre panneau en bois est écrit à la craie blanche : 1937 Roquand et à la craie orange : Pierre Joubert Monsieur Porteau 1924
Synthèse
St Gilles Croix de Vie trouve des témoignages de son importance maritime sur cette façade atlantique. Ces graffiti du XVe, XVIe, puis du XVIIIe et du XIXe siècle viennent compléter ce petit patrimoine qui jalonne la mémoire des hommes et des femmes qui ont fait ce Pays de Vie. Des noms surgissent dont certains sont connus : P BOUR (XVe) ; BOUGLE (XVe) ; Jean FLORANTIN (1776) – couvreur ; MANON (1817) ; Paul LILLIAGE (1844) – EMILE POUCLET (1844) ; PENARD (1862) ; Pierre JOUBERT (1924) – PORTEAU (1924) ; ROQUAND (1937) Des symboles : arbre de vie (1833) ; marques de tâcheron ; deux graffiti humanoïdes ; une représentation de pied ; un sablier Des graffitis marins : quatre graffiti de bateau (XVe …) Ils viennent avec bonheur se rattacher au graffito du XVIe siècle de la rue Abel Pipaud. Il est possible que cette pierre soit un réemploi et qu’elle vienne de l’Eglise Saint Gilles, à la suite de sa destruction partielle entre 1574 et 1610.
Ce graffito décrit un bateau avec trois mâts (misaine, grand mât, mât d’artimon et mât de beaupré) : une Barque. Les mâts n’ont pas de hune représentée ; la coque est bordée à franc bord (les virures sont dessinées). Les croisillons gravés au milieu de la coque sur toute sa longueur pourraient correspondre à des renforts de bordé ou matérialiser la préceinte médiane. Le mât de misaine et le grand mât portent chacun un pavillon. A la poupe, un autre pavillon, magnifique, flotte au vent, sans doute celui de la compagnie ou du pays d’origine. Une chaloupe, avec sa voile en place, est prête à s’éloigner. Ce graffito est à rapprocher des dessins de «l’album du Ponant» de Jean JOUVE, 1679.
Une des planches, page 23, présente les bateaux «à St Gille, Il y a d’ordinaire 10. Ou 12. Barques bien troussées de la fabrique d’Olonne du port de 25. Jusqu’à 45 T. qui portent du sel et du bled en Espagne Portugal et Costes de France. Elles n’ont qu’un pont et chasteau ou gaillard comme Celle cy dessus marquée A…»
Bernard de Maisonneuve 15 octobre 2012