Les bibliothèques publiques sont en pleine renaissance. A Seattle, des sièges contemporains plus que confortables meublent une immense salle de lecture ouverte à tous. La bibliothèque de Minsk est devenue le lieu branché de la ville. La Chine n’échappe pas à l’engouement. Li Xiadong, proche de Pékin se prend pour une caverne de lecture en offrant de multiples recoins à ses fans. Celle d’Aarhus, fidèle à la tradition danoise en a fait un lieu de vie où s’emboîtent, aires de piquenique, de jeux, de travail et des sofas de rêverie. Plus proche de nous les médiathèques de Saint Hilaire et la bibliothèque à Saint Gilles Croix de Vie proposent animations et rencontres qui sont autant d’occasions d’échanger, de débattre et de se ressourcer. Autant de lieux où se débrancher des tensions de la vie moderne. Renouent ils avec les « chambres de lecture » du XVIIIème siècle ?
Les cabinets de lecture de l’époque étaient des lieux de conquête des espaces culturels et d’information. L’aristocratie et le haut clergé composaient l’essentiel de l’élite sociale car leurs membres avaient, plus que tout autres, le temps et les moyens financiers de «s’orner l’esprit». La grande affaire était, alors, de briller en société, sans cuistrerie, avec éloquence ce qui n’excluait pas les mots d’esprit, de préférence féroces. Quelle manière serait plus raffinée de justifier de son rang de privilégié ? Au XVIIIème siècle, les lumières venaient des écrits des philosophes, des scientifiques, des économistes, de techniciens, de voyageurs, de philanthropes. La bourgeoisie s’empara avec avidité de tout ce qui contribuait à regarder d’un oeil nouveau l’ordre établi jusqu’à le considérer révisable. Les encyclopédistes s’employèrent, à l’initiative de Diderot, à rassembler cette énorme somme des savoirs de l’époque faisant une large part au savoir-faire des artisans. Les obstacles de toutes sortes dressés à l’encontre de cette magistrale entreprise démontrent bien que le savoir est un enjeu de pouvoir que la bourgeoisie éclairée aspirait à partager avec les élites pour mieux s’y fondre. Plus encore que l’information, ce sont les échanges qui furent recherchés afin de cerner ensemble les mutations qui travaillaient déjà en profondeur une société asphyxiée par les inégalités sur lesquelles reposait son organisation.
Un groupe d’habitants de Saint Gilles n’échappa pas à cette aspiration d’autant que se procurer des gazettes et des périodiques restait aussi difficile que coûteux pour chacun d’entre eux. Les bourgeois de Saint Gilles créèrent un cercle afin de partager les frais d’abonnements, d’échanger sur les événements et d’affirmer leurs ambitions sociales. Les statuts furent signés le 30 décembre 1782 par «Cadou, chef de division de canonier (sic), A Gratton, sous officier de canonier, Joubert, Giron procureur fiscal, Dechazeaud, Cavois sergent, JSH Béneteau capitaine de canonier, Boisard fils, J Ingoult directeur de la fabrique de garance de Poitou, Hardy, Mercereau, Gaborit (Hal ?), Gougeard sénéchal, Cadou médecin, Monbeau, Doussau, Jean Petit et Benoit de la Grandière syndic de Croix de Vie*». La première réunion fut consacrée à l’élection des commissaires syndics en charge de la bonne marche du cercle. Le sieur Giron, en sa qualité de procureur fiscal parut le mieux placé pour informer de cette création, par lettre du 20 février 1783, les autorités de police toujours suspicieuses à l’encontre de ce type d’initiative.
Le 1er mars 1783, en réponse, le procureur du roi, M Filleau autorisa « les gens de mérite de votre ville à former une société pour recevoir en commun les nouvelles politiques et périodiques (…) à condition que dans ces assemblées on n’y reçoive que des livres autorisés par le gouvernement*». Sans attendre, le cercle avait lancé ses abonnements dès le 1er janvier 1783 et tint sa 1ère séance le 9 janvier 1783. A cette occasion Benoit de la Grandière se laissa aller à de longues envolées bien dans l’esprit du temps dont quelques extraits sont édifiants : «O sensibilité délicieuse ! Attrait chéri de l’union ! Sentiment doux qui unit les époux, les familles, les concitoyens, les amis qui portent dans le commerce des hommes la douceur et l’aménité, puisses-tu toujours resserrer de plus en plus les liens que nous formons aujourd’hui ; puisses-tu faire de nous autant de philosophes sensibles !*». L’enthousiasme de Monsieur de la Grandière ne fut pas contagieux. Les adhésions furent rares. Qu’importe, on put partager les lectures du Mercure de France, de la Gazette de France, de la Gazette étrangère, des Nouvelles et Affiches du Poitou, du Journal de Paris, de la Gazette de Leyde et des Affiches de Bretagne. Dans les années qui suivirent le cercle compta de plus MM. Sirier, Desloges, Merland médecin, Dufaux, M Chauviteau et le 12 janvier 1786, M Lorteau, le vénérable prieur de Saint Gilles. Le 8 janvier 1787, le cercle souscrivit à l’Encyclopédie et compta parmi ses membres MM. Ténèbre curé de Croix de Vie, Malescot notaire, Rozero greffier futur révolutionnaire enflammé, Chauviteau vicaire puis vicaire épiscopal constitutionnel, Bouhier de la Davière prieur curé de Saint Gilles déporté en 1792 pour refus de serment. En 1788, les bruits venant de la Cour firent que la chambre s’abonna au courrier de Versailles.
En 1789, M. Cohade curé de la Chaize Giraud fut admis à l’unanimité des membres. Trois ans plus tard il sera emprisonné et déporté pour refus de signer le serment de fidélité à la République. La noblesse fut représentée tardivement par M Guery de la Vergne, Lemoine de Beaumarchais chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint Louis, Guery de Boisjoly et quelques autres membres de la petite noblesse locale. Anticipant la Constituante, la Chambre de lecture réunissait sous ses plafonds les trois ordres. Puis, il s’ensuivit une longue interruption qui entraîna l’application de l’article 11 de la constitution de la chambre qui stipulait qu’en cas de dissolution, les biens de la chambre devaient permettre de doter une jeune fille vertueuse désignée par M le curé à l’occasion de son mariage. Ce qui fut fait pour 150 livres. En frimaire an X (novembre 1802), M.Bénéteau, commissaire trésorier, ranima les cendres de la chambre de lecture. Son discours fut explicite : « …Le temps qui change nous a fait éprouver, à la dite chambre, les malheurs qu’a causés la révolution en bouleversant les plus avantageuses institutions.(…). Comme le gouvernement nous donne l’exemple de vouloir rappeler tout au bon ordre, il est donc nécessaire que les amis de la paix, de l’union et de la concorde se réunissent pour rectifier les anciens règlements et en ajoutent de nouveaux qui puissent contenir les esprits qui se rendraient violateurs des lois sociales. … *».
L’initiative de M. Bénéteau resta sans suite dans un pays qui n’en avait pas fini avec les guerres et les menaces des anglais.
La chambre de lecture fut le tremplin d’une notabilisation locale. On retrouvera certains de ses membres dans la première municipalité de Saint Gilles mise en place le 12 août 1787. Ils seront plusieurs à répondre à la convocation aux Etats Généraux de Versailles en 1789.
Aujourd’hui les bibliothèques nous offrent un accès facile à un vaste choix de publications, à des coûts modestes. Ils leurs restent à devenir des lieux de discussions confortables et conviviaux qui soient autant d’invites à la cordialité, à l’ouverture d’esprit et à la culture politique ?
Il n’y a pas de société sans faire société.
Michelle Boulegue
*Bourloton Edgar -Une page de l’histoire vendéenne – La chambre de lecture de Saint Gilles. (1783).