Depuis que les
humains existent, toutes sortes de constructions sont apparues sur la Terre et
ont marqué leur époque : dolmens, pyramides, châteaux-forts, cathédrales,
palais et enfin, gratte-ciel. Nous, les Hermelles, nous construisons toujours
les mêmes résidences avec « vue sur mer » et même « sous la mer » à marée
haute, depuis des millions d’années. Ce sont des pseudo-récifs visibles sur
l’estran rocheux qui font penser à d’énormes coussins, éponges ou nids d’abeilles
suivant l’imagination de chacun.
En réalité, nous
sommes des vers bâtisseurs appartenant aux Annélides Polychètes (vers marins
segmentés aux nombreuses soies). Une fois retirés des tubes dans lesquels nous
vivons, chacun de nous ressemble à une petite masse allongée, molle et grisâtre
d’environ 4 cm. Par contre, si nous sommes photographiés « en studio », dans
l’eau, avec une légère coloration et un bon objectif photo, nous pouvons avoir
un look plus sympa. De nombreuses soies entourent notre bouche et servent à
retenir le plancton nutritif ainsi que les grains de sable.
Nous y voilà ! Pourquoi des grains de sable ?
Pour construire nos habitations qui ne sont pas des châteaux de sable éphémères
mais des récifs assez résistants. Nous produisons un mucus qui colle entre eux
les grains de sable en formant un tube autour de notre corps. Nos voisins
agissant de même, nous nous retrouvons en « appartements parallèles », sachant
qu’il n’y a de place que pour un seul animal dans chaque tube. A marée basse,
nous sommes bien à l’abri à l’intérieur et à marée haute, nous sortons juste
nos soies qui s’agitent à la surface du récif. Nous sommes bien protégés dans
nos « chambres marines » et n’avons pas de problèmes de voisinage même si nous
formons parfois des colonies de plusieurs milliers d’individus.
Nous jouons un rôle
important dans l’équilibre de l’écosystème de l’estran en servant d’abri à des
larves d’espèces diverses. Hélas, nous sommes menacés par le piétinement,
l’envasement ou le développement des huîtres sauvages dans les secteurs
ostréicoles. Pour la reproduction, les mâles et les femelles libèrent leurs
gamètes dans la mer où se fera la fécondation. Les œufs puis les larves
planctoniques seront disséminés et iront coloniser de nouveaux rochers. Comme
quoi, nous pouvons faire « chambre à part » et assurer la survie de notre
espèce !
Les gens me connaissent sous le nom de Puce de mer, mais cela me déplaît vraiment !
Les Puces sont des Insectes qui ont trois paires de
pattes alors que moi, je suis un Crustacé comme les Crevettes, les Cloportes
(terrestres) ou les Gammares (d’eau douce). Ces horribles bestioles sont aussi
des parasites suceurs de sang alors que je suis un inoffensif mangeur d’algues.
De plus, je ne suis pas un animal marin (je déteste les bains de mer bien que
je sache nager !) et je passe la majeure partie de mon temps dans des terriers
de sable en haut de plage.
Par contre, j’aime bien mon nom scientifique
(Saltator) qui fait penser à un personnage de Star Wars ! Surtout, il montre
que je suis un champion de saut en hauteur (20 cm alors que je mesure au plus
2,5 cm). Hélas, la Puce est la championne du monde animal avec un saut de 34 cm
équivalent à 340 fois sa taille. Je suis très sensible à la lumière selon
laquelle je peux m’orienter et je ne peux pas rester allongé sur le sable
pendant les vacances d’été. Ma carapace très fine appelée cuticule se
dessècherait très vite et mes yeux ne supporteraient pas cette forte
luminosité. J’ai donc une activité plutôt nocturne au cours de laquelle je
m’occupe à grignoter les algues laissées sur le sable. En les broyant, je
favorise leur décomposition par les mouches et asticots ; le travail sera
achevé par les bactéries. Je suis au menu de nombreux animaux venant picorer
dans cette laisse de mer, tels que les Gravelots, les Pipits maritimes, les
Tourne-pierres ainsi que les Mouettes rieuses et les Goélands argentés. Je
participe ainsi à l’équilibre de l’écosystème littoral. Les zoologistes qui ont
étudié ma biologie, ont constaté que je suis un bon indicateur de la qualité de
l’eau. J’ai horreur des zones polluées ou contaminées par des métaux lourds et
c’est pourquoi j’ai déserté certaines plages. De plus, ne me parlez-pas de ces
nettoyages par raclage et nivellement du sable qui détruisent mes galeries
ainsi que des mégots remplis de goudrons et de nicotine. Le tabagisme passif,
ce n’est pas pour moi ! L’Océan, incontournable acteur de SGXV 4 Vous pourrez
encore me trouver en haut des plages sauvages, mais attention, si vous me
dérangez, je pourrai vous chatouiller le dos ou vous mordiller la plante des
pieds ! Ah ! Ah ! Gare à la vengeance de Saltator !
Joseph Guittonneau, le capitaine du SNS 154 de
Saint-Gilles-Croix-de-Vie reçoit une alerte du CROSS. En dix minutes, il réunit
l’équipage d’intervention. Ces marins de Saint-Gilles-Croix-de-Vie, tous
bénévoles, lâchent sur le champ leurs occupations pour se porter, au plus vite,
au secours de l’A…, un fileyeur de l’Ile d’Yeu échoué à la Paterne.
En s’embarquant, les sauveteurs savent déjà qu’à bord
de l’A…, le patron et les quatre hommes d’équipage sont sains et saufs.
Partis en soirée pour faire le plein à Saint-Gilles-Croix-de-Vie avant de
rejoindre leur site de pêche, une fausse manœuvre les a fait s’échouer. La
quille enfoncée dans le sable à quelques mètres de l’estran, ils ont cru qu’à
marée montante ils pourraient se dégager. De fait la houle les a fait
s’enfoncer plus profondément. La situation s’aggravant au fil des heures, le
patron s’est résolu à suivre la procédure : prévenir le propriétaire du bateau
et le CROSS en charge d’organiser les secours. Heureusement il n’y a pas de
blessés. Il n’est pas nécessaire de mobiliser l’hélicoptère de la Rochelle.
20h50, le
SNS 154 largue les amarres.
Arrivé à
hauteur de PIL’HOURS, l’équipage tâte déjà d’une mer formée. Le mauvais temps
sera de la partie. Les mentons s’enfoncent dans le col des vareuses. Le
capitaine joint le patron de l’A…qui est catégorique. Pour lui et ses hommes
d’équipage, pas question de quitter le bateau. Ils resteront à bord et aideront
à la manœuvre. Ils ont déjà jeté par-dessus bord leur chargement de glace afin
d’alléger le bateau. Et faute d’avoir eu le temps de faire le plein, la cuve
est quasi vide. Une chance dans ce malheur.
Arrivé sur le site de sauvetage, l’équipage de SNS 154
embrasse la situation d’un coup d’œil. Une mer agitée va compliquer leur tâche.
Il faudra passer des remorques aux marins restés à bord afin de tirer le bateau
hors de sa souille de sable. Un premier ballon auquel est attachée la remorque
est jeté à l’eau. Tous le suivent des yeux. Il s’agit que les vagues le mettent
à portée de gaffe des marins de l’A… qui, sitôt qu’ils auront récupéré la
remorque, auront à l’accrocher solidement en vue de tracter le bateau vers le
large. La manœuvre, exténuante, échoue plusieurs fois. Les déconvenues
s’enchaînent. Deux remorques casseront successivement. Après quoi il faut,
chaque fois, récupérer les 400 mètres de cordage que déroule chaque remorque et
qui ne doivent absolument pas rester dans l’eau, de crainte qu’ils ne
s’enroulent dans les hélices ou, partis à la dérive en mer, qu’ils ne créent
des dommages à d’autres navires.
A la nuit tombée, l’équipage du SNS 154 est exténué.
Le faible coefficient d’une marée de 51 n’a pas été d’un grand secours. L’A…n’a
toujours pas bougé d’un centimètre. A 3 heures du matin, il est évident que des
renforts s’imposent, en plus des pompiers qui, depuis le matin, donnent un coup
de main depuis la plage à bord de leur tracteur. Le SNS 154 rentre à
Saint-Gilles-Croix-de-Vie après avoir fait son rapport. Il est entendu que la
SNSM des Sables va envoyer « Mini-Plomb », une unité puissante qui fait le balisage
des bouées. L’équipage puise dans la force de l’habitude pour effectuer les
dernières manœuvres d’accostage. Il sait devoir repartir après de brèves heures
de repos pour recommencer les difficiles manœuvres de la veille, dans l’espoir
qu’elles seront plus concluantes.
L’équipage de l’A… a suivi des yeux les feux de
signalisation du SNS 154 jusqu’à ne plus les voir. Une nouvelle nuit à bord va
ajouter de la fatigue à celle d’une rude journée. En silence, ils se partagent
les provisions que leur a passées l’équipage du SN 154. Le café bouillant ne réchauffe
pas l’ambiance. Ils écoutent les membrures du bateau grincer sous les effets
d’une houle de plus en plus formée.
Le lendemain
à 9h 30, le SNS 154 est de nouveau à
la manœuvre. Il est rejoint par « L’Aurore Boréale » de l’Île d’Yeu, dont la
vedette est attendue et surtout « Mini Plomb » qui, contrairement à son surnom,
fait le poids. Les pompiers sont là eux aussi, sillonnant la plage. En trois
jours, la situation s’est aggravée. Les marins ont compris que la succession
des marées a enclenché un effet de ventouse qui enfonce plus encore l’A… dans
les sables. Les sauveteurs recommencent à lancer des remorques à son équipage,
toujours dans le but de le faire tirer en attelage par les trois bateaux arrivés
à la rescousse. Les manœuvres se répètent, exténuantes. A la fin de la journée
trois bosses ont cassé sans que l’A… n’ait bronché d’un pouce.
Il reste un espoir. Le coefficient de marée va passer
de 51 à 58.
Il est 18h30. L’équipage du SNS 154 rentre à Saint-Gilles-Croix-de-Vie
prendre un bref repos. Il repartira à 22 heures pour être sur site à la pleine
mer. De nouveau, des remorques sont lancées à l’eau. Sitôt récupérées, elles
sont solidement arrimées à l’A…. Les moteurs sont lancés à plein régime. Les
hélices brassent les vagues qui enragent et écument plus encore. Rien ne bouge.
Les marins s’obstinent. A 1 heure du matin, l’A… bouge. A 2h15, l’A… est en eau
libre. Il aura fallu 4 jours aux sauveteurs bénévoles pour sortir d’affaire
l’A… et son équipage.
Michelle Boulègue à partir du récit de Joseph
Guittonneau, capitaine du SNS 154 de Saint-Gilles-Croix-de-Vie
(1) Bosse :
Câble de nylon tressé de 20cm de diamètre