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Bulletin 2015 Histoire - Récits - Mémoire

La villa «Grosse terre» un rêve d’architecte

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Photo de la villa  (photo V.I.E.)

Photo de la villa
(photo V.I.E.)

1921 :  Campé sur  les  vestiges du fortin du XVIIe siècle qui bosselaient à peine la pelouse d’armérias de la corniche de Sion, Roger Gonthier* exultait. Acheté à  François Edouard Cavé, maire de Saulnay,  dans l’Indre, ce promontoire,  face aux brisants de Pil’Hours, était enfin à lui. Depuis qu’il avait découvert la côte vendéenne, cinq ans plus tôt, Roger Gonthier se sentait chez lui dans ce paysage océanique. Il en aimait la lumière pétillante, toujours changeante, la  vigueur des  vagues battant le flanc de la corniche à marée haute. Les accidents du tracé de la côte aguichaient son regard, sans le lasser, aimablement. La  douceur, fraîche et piquante, de l’air le stimulait. Dès 1920, architecte déjà renommé, il avait décidé de faire sienne cette avancée en mer qui lui permettait d’embrasser le paysage marin comme s’il se tenait à la dunette d’un navire, mais les pieds sur terre. Il allait s’ancrer à «Grosse  Terre*».

Vue aérienne de grosse terre

Vue aérienne de grosse terre

Quel meilleur nom pour sa future résidence que celui que les marins donnaient de longue date à cet amer. Savait-il que 2 500 ans avant notre ère, un peuple vivait le long de notre littoral, et au- delà, le long des côtes ibériques ? Des traces de son activité sont attestées par la trouvaille d’Edmond Bocquier qui mit à jour, en 1917, des tessons de poterie campaniformes caractéristiques *. Sensible aux résonances des  lieux, Roger Gonthier sortit de sa poche son calepin de croquis et laissa sa main tracer ce que l’ambiance lui inspirait. A l’architecte d’interpréter sans trahir l’esprit des lieux ni déroger aux exigences du  confort.  Les  premiers traits s’allongèrent, à peine au-dessus de la ligne matérialisant le sol. Il voulait de larges ouvertures laissant la lumière et la beauté des lieux s’installer chez lui sans l’envahir. La vue ne mériterait- elle pas une tourelle comme celle qui flanquait l’hôtel des Rioux, cette famille d’armateurs de Croix de Vie ?
Le besoin d’équilibrer son dessin lui  fit  tracer une tour carrée plus basse et trapue à l’autre extrémité de la façade qui commençait à se dégager de ses traits de crayon. Pourquoi pas une loggia et un avant corps pour profiter de la douceur qui s’installe dès 7 heures du soir. L’eau devient alors presque lisse et prend les couleurs du ciel jusqu’aux embrasements des couchers de soleil. En réponse à ce rêve de douceur, il incurva le haut des fenêtres d’un trait de crayon. Elles seront en plein cintre. Aussitôt, il veilla à échapper à l’ennui du répétitif en rehaussant une longueur de façade d’un premier étage percée d’une large baie rectangulaire. Un œil de bœuf en adoucirait la radicalité, en correspondance  avec les fenêtres en plein cintre dont il perça également la tourelle. Son réalisme lui fit  dessiner des volets. Gare au vent ! Il sait quels sont ceux qui dominent et  dessina un salon d’été leur tournant le dos et ouvert sur l’anse de la Pelle à Porteau.
Façon élégante de terminer la façade en respectant ses proportions étirées, dynamisées  par la tourelle et la tour carrée coiffées de toits à quatre pentes. Il équilibra les contrastes de hauteur en dessinant deux énormes cheminées très travaillées puis il plaça 6 pots à feu à chacun  des angles de l’avant corps. Pas mal pour un premier jet ! Afin de mieux en juger, il tint alors son croquis à bout de bras afin de s’assurer de sa  sincérité envers son  rêve et  de son respect du  site. D’un coup  de crayon appuyé, il affirma le tracé d’une toiture à 45 % typique de la Vendée qui serait faite de tuiles «en tige de botte» pigeonnées. Il para la façade de délicats et sobres motifs de décor fait de jeux d’alternance de briques et de maçonneries. Il ferait de la lumière sa complice. A elle de sculpter les légers reliefs qui soulignaient les équilibres de l’architecture. Il utilisa sa magie pour étirer, sur les façades, l’ombre des tuiles de corniche, faire ressortir le rythme des génoises ceinturant le haut des façades et animer un vaste cadran  solaire aux rainures creusées en triangle. Quant à la tourelle et à la tour carrée, il les voulait strictement réservées aux plaisirs de la vue. Seuls une lunette d’approche et un siège pouvaient s’y loger.
Ne pas oublier les dépendances. Du bout de son crayon, il fit surgir un vaste garage pour deux voitures, relié par un portique percé de trois ouvertures  en plein cintre laissant voir le jardin.
Discret le jardin, afin de ne pas concurrencer le paysage mais plutôt le servir, dans le goût italien. «Toscan  rustique» jugera l’architecte Pascal Pas, de  Limoges qui, en collègue admiratif étudiera son œuvre, presque 100 ans plus tard. Roger Gonthier venait de lancer un style qui lui vaudra de dessiner les plans, dans le même esprit, des villas «Les Récifs» et «Mas de Riez».
Roger Gonthier savait déjà à  quelle entreprise il ferait appel. Il avait remarqué quelques constructions locales qui signaient la maîtrise professionnelle de l’«Entreprise  Billon Père et ses Fils». Impatient, il espérait bien que le maire de Croix de Vie lui délivrerait rapidement le permis de construire et lui épargnerait une querelle de préséance entre les maires de Croix de Vie et de Saint Hilaire, car les limites entre les deux communes étaient floues. Le cadastre Pellerin ne faisait-il pas passer cette limite pile au beau milieu du fortin ? Afin de ne pas allonger les délais de construction, il comptait utiliser une technique qu’il avait appliquée avec succès pour de plus vastes projets exigeant rapidité et maîtrise des coûts. Ma villa sera en béton armé, se dit-il, et j’en fournirai le ciment. Descendant du fortin pour rejoindre sa voiture, ses pas s’enfoncèrent dans une terre meuble et humide. Ces militaires ! Jamais d’ouvrage sans un point d’eau ! Il se rappela qu’il avait existé un puits sur le site, alimenté par des sources. Il ressortit son calepin et dessina à la hâte un vaste perron rejoignant en trois marches un étang sur lequel il esquissa une petite barque. Une photo prise dos à l’Océan, fait voir une petite barque se balançant sur une pièce d’eau, témoignage de  la  force du  rêve de Roger Gonthier.

Mars 1928, Roger Gonthier et sa famille emménagèrent  dans leur villa «Grosse Terre» grâce à la diligence et à l’endurance d’Augustin Billon et de ses fils, Maximilien et Raymond. N’avaient- ils pas dû réceptionner en gare de Croix de Vie des tonnes de ciment expédiées par Roger Gonthier ? Ils eurent aussi à se charger d’entreposer les meubles de la villa jusqu’à l’emménagement. Des photos montrent un élégant salon de lecture en mezzanine, baigné de lumière et bordé d’une remarquable balustrade en fer forgé, le tout surplombant un salon meublé de fauteuils de cuir confortables répartis autour d’une cheminée au foyer en plein cintre, le tout dans le goût des
années 30.
L’histoire de la vie de la villa ne faisait que commencer. Les aménagements se poursuivront à l’initiative de Roger Gonthier jusqu’au 24 juin 1940, date du déménagement de la famille Gonthier à la villa «L’Abri Côtier», quelques centaines de mètres plus loin. «Grosse Terre» venait  d’être   réquisitionnée par l’occupant, interdisant illico à la population d’approcher de la corniche et de pêcher sur l’estran, tous les vendredis, jour de leur entraînement au tir à la mitrailleuse sur Pil’ Hours où ils avaient fiché une cible. Pendant toutes ces années, la famille Gonthier assista impuissante aux dégâts que l’occupant, puis des gestes de revanche infligèrent à la villa. La lecture de la correspondance que  Roger Gonthier échangea avec Augustin Billon donne à penser qu’il eut droit à des dommages de guerre mais le charme était rompu. Roger Gonthier vendit «Grosse  Terre»   en 1945 au Dr Joseph Buet qui en fit  sa résidence principale, confiant à l’entreprise Billon des aménagements  réalisés jusqu’en 1947. Toutefois Roger Gonthier ne quitta pas facilement  «Grosse Terre». Il obtint du Dr Buet de jouir de la maison du gardien pendant 4 ans après la vente et d’y entreposer du mobilier. La mairie de Saint Hilaire de Riez a préempté la villa «Grosse Terre» en 2009 et décidé de lui offrir une nouvelle vie au service des amoureux de la corniche et de la villa, dans le cadre de programmes d’actions culturelles ouverts à tous.

Carte de grosse terre

Carte de grosse terre

Michelle Boulègue

Sources :
- Les archives personnelles de Monsieur Alexandre Billon, architecte du patrimoine, Saint Gilles Croix de Vie.
- Drac de Poitou Charente ; extraits de l’étude «entre rêve et réalité, architecture et urbanisme à Limoges depuis la Révolution» par S .Capot et B.Sardin. Limoges 2005.
- Histoire d’une gare : Limoges par R. Brissaud et P. Plas.2008.
- Entretien   avec   Roger   Jousseaume,    archéologue, chercheur au CNRS.
*Roger Gonthier (1884-1978),  architecte parisien, licencié en droit fut, ainsi que  son père Emile Gonthier, architecte-inspecteur des bâtiments des Chemins de Fer Paris-Orléans. Il  réalisa à Limoges,  en 1919, un pavillon frigorifique et l’abattoir municipal (1941). Roger Gonthier fut également l’auteur de la cité des Coutures, de la cité-jardin de Beaublanc et de nombreux immeubles de rapport à Paris. Sa réalisation la plus emblématique  est la gare des Bénédictins à Limoges, commanditée par la Compagnie du Paris-Orléans. Cette gare est inscrite à l’inventaire des monuments historiques par arrêté du 15 janvier 1975 avec le label «patrimoine du XXème siècle».
* La villa «Grosse Terre», d’une surface utile de 353 m2, fut classée  «villa balnéaire climatique» en 1938.
* En 1929,  d’autres tessons de la même époque  furent également découverts sur le site. Une campagne de fouilles fut alors décidée  et menée par Daniel Longuet. Les  découvertes se  poursuivirent  avec  des tessons de l’époque  du bronze ancien par Patrick Peridi. Des recherches archéologiques démontrent que notre littoral fut habité par un peuple dont on sait qu’il a laissé ses traces à Malte et en Sardaigne, 6 000 ans avant notre ère.

 

 

 

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Le parler des marins locaux (suite)

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Maurice Guittonneau a dressé un lexique qui s’enrichit tous les jours, nous poursuivons la publication de ce lexique. V.I.E. vous invite à le compléter.  
A vous !

4 Rétamé ….. À bout de fatigue, ou sous l’effet de l’alcool (ivresse).
2 Revlin de vent… Changement spontané pour un bref moment de la direction du vent . Plus fréquent lors des chaleurs de l’été
2 Sabaille (f) ….Cordage (bout’) qui relie le ret’ de sardine au canot.
1 Sabouraôu (m).poiss… Petite vive qui se tient surtout en bord de côte sur les plage de sable.
1 Sourdon (m)…coq.. bivalve …. Coque.
2 Salabarde (f) ……Grande épuisette montée sur palan qui sert à remonter le poisson à bord.
2 Salet (m) … Fouine ( fourche  avec argaillons  au bout d’un grand manche).
2 Sourit’ (m) ….. Taquet de bois fixé sur la lisse pour coincer les lignes à thon ou autres…
4 Sourit’ (m) ….Hématome, bleu du à un pincement de la peau, d’un doigt .
4 Sagoillage (m) …Ballotage: Agiter, secouer, action due au roulis et au tangage qui sont de tous sens.
1 Tape-cul (m) …crust. … Galathée. Crustacé décapode au corps aplati (de 5 à 8 cm)
2 Talonnette  (f) …. Sabot , Galoche en cuir avec une semelle de bois
2 Toulet’ (m) …..Tolet : Bout de bois qui sert à maintenir l’aviron de nage à l’aide d’une estrope.
3 Traites …… Parcs à moules : Autrefois, concessions accordées aux marins pêcheurs sur la Vie afin que ceux-ci, pendant les périodes creuses d’hiver, puissent en faire l’exploitation.
1 Tiritarat’ ou Aigrelette (m) …oiseau …Sterne, petite mouette.
1 Trembiard ou Dalitte (m) … poiss… Raie Torpille.
2 Tinette (f) ….. Récipient qui servait à ramasser des déchets de poissons ou les poissons salés afin d’en faire de l’appât.
2 Toutas ou Totas (m) ….Paquet de moules ou d’huitres prises ensemble.
2 Treuillot’ ou Trouillot’ (m) …Épuisette.
2 Trouille (m) …. Épuisette à deux manches.
5 Traîner son plomb …… Fait qu’un marin a mal pêché «Il a traîné son plomb !». Car le plomb de sonde servait à reconnaître la profondeur, la composition et le lieu des fonds marins, ce qui lui permettait de mieux reconnaître et affiner sa pêche.
4 Trâlée (f) …. Se dit d’un grand nombre, de gens, d’animaux … d’évènements bons ou mauvais. Une trâlée de mauvais temps (série de tempêtes).
1 Terre (f) …poiss….. Une Myliobatis.  Raie avec aiguillon veni- meux sur la queue, synonymes : Mourine, Aigle de mer, Paste- nague.
4 Trac (à) …. Couper au ras, trancher net sans laisser de bout’.
2 Touaïe (f) …. Longueur : Sur une filière de pêche, partie de ligne ou d’orin plus ou moins longue, selon la profondeur, entre la première gueuse et flotteur ou engin de pêche (casier, filet hameçon).
4 Turcoller ……. Chanceler ou vaciller sur ses jambes….se dit d’une personne ou d’un animal qui ne marche pas droit sous l’effet d’une grande fatigue, d’une maladie ou cas d’ivresse.
1 Use-Babines  * … coq.. bivalve … un Pignon (uneTelline).
1 Veuson (m f)….. Un Enfant turbulent, qui ne tient pas en place tout en faisant du bruit.
3 Veusounne  ….. Bruit lancinant  voir énervant  ( ou veusounne sans arrêt à mes oreilles  )
3 Virée (f) …. Boucle du cours de la rivière, méandre.
5 (tu) Vireras de bord ….. Être dans le même cas …. Je suis comme toi dans la même situation, dans la même incompréhen- sion, autres …. Toujours employé dans le sens d’une situation plus ou moins négative.
2 Vormaïe  (f) …. Engin de pêche pour les anguilles, composé de vers de terre enfilés sur un fil de coton ou de laine mis en paquets au bout d’un perche.
2 Vroïl (m) …. Remous produits par un poisson à la surface de l’eau.
4 Vroïl (m) ….. Sursauter par effet de surprise «Tu m’as fait faire un sacré vroïl !»
4 Vircouèt’ (m) …. Retourner, s’est retourné, faire route (naviguer) en méandres.
4 Vreuillot’ ou vroillot’….. Bien vivant, très vigoureux (se dit des poissons, des crabes ainsi que des hommes).
2 Veusée (f) …. Grain, averse qui va vous tremper (attraper une veusée).
4 Veusée (f) …. État d’ivresse chez une personne «Il se tenait une sacrée veusée !».
4 Vie chère (f) …. Une partie de la marée de pêche, selon l’espèce, vendue et partagée entre l’équipage sans y prélever la part d’armement et les frais (convention armement – équipage).

M. Guittonneau

http://unepassion-marinpecheur.blog4ever.com

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Les petits animaux de l’estran se racontent

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Le Bernard l’ermite (ou l’hermite), (Pagurus bernhardus).
Avez-vous déjà vu  des  bigorneaux courir à toute vitesse sur la plage, à marée basse? Regardez-les de plus près et vous verrez sortir de la coquille des pattes articulées et des pinces, des antennes et des yeux.
Vous avez donc observé une coquille de mollusque gastéropode habitée par un crustacé décapode : c’est moi, le bernard l’ermite ou pagure.
Pourquoi ce nom ? Comme le moine Saint-Bernard de  Clairvaux et  les ermites, je vis caché ! En effet, j’ai un «défaut de fabrication». Pour mes pattes et mes antennes, ça va ! Elles sont protégées par unecarapace chitineuse. Par contre, pour mon abdomen, j’ai tout faux ! Il est recouvert d’une peau très fine et si je le laisse à «l’eau libre» je vais me retrouver coupé en deux par le premier prédateur passant par là. Pour me protéger, j’ai donc trouvé une solution : je repère une coquille vide de gastéropode, je la fais tourner en l’inspectant avec mes antennes,  je place les deux orifices des coquilles face à face et hop ! En un dixième de seconde, j’introduis mon abdomen dans la nouvelle coquille. Le problème, c’est que, comme tous les crustacés, je mue et je grossis. Je dois donc à chaque fois prospecter pour trouver une coquille plus grande. C’est sans compter sur la solidarité de mes congénères.  En effet, nous organisons parfois des «chaînes  de vacance». Nous nous  réunissons autour d’une coquille vide adaptée à la taille du plus gros. Chacun passe ensuite dans la coquille du plus gros que lui et seule la plus petite reste vide (selon Behavioral  Ecology). N’est-ce pas un bel exemple de solidarité lié à un recyclage efficace ? De plus, cela prouve que nous avons un don pour l’évaluation de la taille «à vue de nez» ou plutôt d’antenne !
Il m’arrive de vivre en «copropriété» avec une anémone de mer ou une colonie de petits polypes (Hydractinies) qui se fixent sur ma coquille. Ça va, on  s’entend  bien,  mais  attention, on partage les avantages  ! Comme je ne sais pas manger proprement, elles récupèrent les «miettes de mon repas». En échange, elles prolongent l’ouverture de ma coquille, j’ai donc plus de place pour me loger et elles peuvent aussi me protéger avec leurs tentacules urticants.
Nous   constituons dans ce cas une association de deux animaux d’espèces différentes qui retirent des bénéfices réciproques de cette union. Les biologistes parlent de mutualisme et non de symbiose (association bénéfique et  obligatoire de  deux organismes ne pouvant vivre l’un sans l’autre). Ne pourrait-on pas qualifier cette association de «resto-taxi» ?

L’Anémone de mer (Actinia equina).
Mais qui a bien pu me donner un nom de fleur ? Vous m’imaginez dans un bouquet ?
Il est vrai que c’est très flatteur et je regrette de ne pas pouvoir m’admirer lorsque je déploie mes tentacules comme une rosace autour de ma bouche… Je ne suis en vérité qu’un petit animal, tout mou, sans squelette, sans pattes, appartenant au groupe des actiniaires, voisin des coraux.
À marée basse, je me referme et j’ai beaucoup moins fière allure avec mon   aspect de petite boule rouge, visqueuse, collée au rocher et percée au milieu d’un trou qui fait pschitt si on me touche. En effet, je dois garder de l’eau pour survivre. Bien que  je  sois sans dents, sans pinces, sans aiguilles ni crochets, je suis un animal féroce ! Gare à la moindre crevette ou petit poisson qui effleure l’un  de  mes tentacules ! Je possède à leur surface des cellules urticantes microscopiques (cnidocytes) qui  injectent un  venin dans ma proie en la paralysant. Il ne me reste plus qu’à la faire entrer doucement par ma bouche pour la digérer. Les déchets de cette digestion prendront le   chemin inverse. Bouche ou anus, chez moi, c’est pareil ! Je peux me déplacer en glissant sur mon pédoncule basal imprégné de mucus. Les grandes voyageuses préféreront se placer «sur le bord de la route» en attendant le passage peu probable d’un bernard l’ermite qui les prendrait sur son dos.

Catherine Chauvet.