C’est vers 1750 que la communauté humaine de
Croix-de-Vie rattache la Petite-Île au « continent ». On comble un bras de mer
qui empruntait la rue du Bac, bien nommée car un bac existait à cet endroit, au
niveau de la pharmacie actuelle, traversait la place de l’Église et gagnait la
rue Servanteau pour rejoindre le fleuve VIE. Ce lieu a été le théâtre d’une
partie de notre histoire dont les traces
mémorielles entretiennent la distinction entre giras et croix-de-viots. Dès
1535, les idées de la Réforme s’étendent jusque dans l’Ouest. Des communautés
calvinistes de l’Église Réformée s’installent à Olonne, aux Sables d’Olonne, à
Saint-Gilles-sur-Vie. Dans ce dernier lieu, un certain nombre de familles
protestantes, ne pouvant trouver des terrains pour se loger, les demandent
auprès du seigneur de Saint- Hilaire, La Motte-Ruffée, qui leur propose la «
Petite-Île ». Ce quartier est développé de 1551 à 1609 par des familles
protestantes. Marie de Beaucaire, de la grande Maison catholique de Luxembourg,
récupère la baronnie de Riez dont le fief de La Motte-Ruffée. Elle s’intéresse
à Saint-Gilles-sur-Vie en créant deux quais de 1584 à 1610 et elle engage des
familles catholiques à s’installer sur la Petite-Île, hameau qui prend le nom
de Havre-de-Vie, puis Croix-de-Vie au XVIIe siècle.
L’histoire va aider Marie de Beaucaire dans son
projet. En effet, depuis l’unité espagnole en 1492, la reine Isabelle de
Castille, avec l’aide de l’Inquisition, chasse tout ce qui n’est pas de « race
blanche, de souche espagnole et catholique ». Les Juifs en 1391, puis les
Maures musulmans installés depuis le IXe siècle sont expulsés dès 1492. Enfin
les générations de Maures, convertis au catholicisme et intégrés, sont
expulsées dès 1609. Ces derniers sont appelés Morisques. De nombreux bateaux de
toute l’Europe, dont des capitaines d’Olonne et de Saint-Gilles-sur-Vie les
transporteront de l’Espagne vers le Maroc, mais aussi vers la France dont
Olonne et Croix-de-Vie. Marie de Beaucaire les accueillera sur la Petite Île.
En 1610, on recense 120 familles sur la Petite-Île dont 100 familles
catholiques et 20 protestantes.
Ces Morisques nous apportent la technique de la pêche
à la maille, pour la sardine. Cette pêche commence au large des côtes du Maroc
; puis, suivant le poisson, les pêcheurs longent les côtes portugaises,
espagnoles et françaises jusqu’en Vendée, puis vers l’Irlande.
Par la suite, la bataille des Mathes (1622), la
débâcle de Rohan Soubise devant le Roi Louis XIII et les massacres de protestants
qui s’ensuivent (4 000 morts), vont avoir pour conséquence une émigration des
familles protestantes de Saint-Gilles et Croix-de-Vie vers l’Europe du Nord ou le
Nouveau Monde. Le protestantisme s’éteint peu à peu dans la région lorsque l’on
obligera les Réformés à abjurer de leur foi en 1685. Ce quartier, qui
s’appellera parfois le quartier du Maroc, aura les allures d’un village
méditerranéen qui contrastent avec le reste de la commune. Les maisons de
pêcheurs sont basses et colorées, organisées autour d’une cour qui réunit
plusieurs familles, lieu de rencontre et de travail où l’on ramande et fait
sécher le filet.
Au fil de la promenade dans ce quartier historique, il
est à remarquer la montée de la rue Anatole France, (3,70 m au-dessus du point
0 de la mer), point culminant du rocher de l’ilot et première rue créée en
1574. Plus bas, la marque de Xinthia (montée des eaux à plus 0,50 cm du niveau
0 de pleine mer) a été apposée sur les murs du croisement de la rue de La
Roussière et rue de la Garance, pour rappeler que la mer regagne ses droits
quand elle le juge utile. Enfin, tout ce quartier est construit avec des
pierres de lest. Elles viennent de contrées éloignées : Nord de l’Europe,
Québec, Afrique… Les bateaux partaient, chargés de fret en direction du nord,
du sud, de l’ouest… Quand les marins avaient déchargé leur marchandise et afin
de pouvoir naviguer dans de bonnes conditions de flottaison, ils devaient
lester leurs bateaux avec des galets trouvés sur les côtes. Ces pierres,
arrivées à Saint-Gilles-sur-Vie et Croix-de-Vie, étaient entassées en « caillons
» et vendues pour construire les quais, monter des murs de maison ou enclos.
Cette maçonnerie est particulière et caractéristique de la Petite-Île. Ces
pierres de lest nous racontent l’histoire maritime du XVIe au XVIIIe siècle sur
les côtes du Bas Poitou.
Une rue du côté de Saint-Gilles, d’à peine trente
mètres, qui, de ce fait, n’apparaît jamais sur les registres de recensement,
est la rue des Bacheliers. Ce nom peut être mal interprété puisqu’il n’a guère
à voir avec les lauréats du diplôme contemporain qui s’y attache mais avec une
ancienne fête régionale, la bachelerie, dont les débordements conduisirent à
son interdiction à Saint-Gilles à la fin du XVIIIème siècle, unique raison pour
laquelle elle apparaît dans l’histoire de notre commune.
Cette rue joint la rue Abel Pipaud (autrefois rue du
Cimetière) au quai Garcie-Ferrande. Anonyme jusqu’à récemment, elle n’a été
nommée qu’au début des années 2000 par l’ancienne municipalité pour rappeler la
célébration, par les Bacheliers, de la Bachelerie, une fête qui, à
Saint-Gilles, depuis le haut Moyen-Âge, connaissait son apothéose sur la partie
haute de l’actuelle place du Marché aux Herbes toute proche (ancienne place du
Barri, distincte de celle du Château).
La définition de bachelerie, fête et institution, a pu
varier, notamment selon les régions et les époques, mais pour Saint-Gilles, on
retiendra surtout une organisation de jeunes gens, célibataires, appelés
Bacheliers et la fête annuelle organisée par ceux-ci : la plantation du Mai.
A l’origine, le « bachelier » (« Baccalarem ») est le
jeune héritier d’un domaine rural (Baccalaria ou Bachalaria, ou vasselcria,
fief d’un vassal inférieur). Dès le XIIe siècle, la bachelerie désigne un
ensemble de jeunes chevaliers.
C’est en moyen français que le sens de bachelier se
restreint, soit aux métiers et corporations pour désigner celui qui obtient le
premier grade de la maîtrise, soit à l’université pour désigner celui qui
obtient le premier grade universitaire. Un procès-verbal du 6 mai 1543
concernant un litige sur l’épave d’un navire sur la côte de Talmont, débute par
« …devant nous Jean Charpenteau, bachelier ès lois… ». Le titre de bachelier,
donné ainsi à un homme de loi, remonte donc déjà très loin. Pour autant, le
terme a longtemps continué à désigner les célibataires, groupés en une
Bachelerie. Il peut être rapproché de celui de bachelor des pays anglophones,
où il est en usage tant pour désigner le célibataire qu’un grade universitaire
(Bachelor of Arts, of Science = licencié ès lettres, ès science), tandis que
chez nous ce ne sont plus, depuis Napoléon 1er, que les lauréats du
baccalauréat, (substantif composé de Baccalaria et Lauréatus) d’où la fâcheuse
confusion à laquelle peut conduire le nom de notre rue.
Le terme bachelerie, ou bachellerie, ou bachèlerie, se
retrouve aussi dans le nom d’un village et dans un patronyme. Le village est
celui de LA BACHELLERIE depuis 1466, dans le Limousin, autrefois situé à
l’intersection de deux voies romaines, l’une reliant Limoges à Cahors et
l’autre reliant Clermont-Ferrand à Bordeaux. Le village, détruit pendant la
guerre de cent ans, fut reconstruit sur les hauteurs et s’intitula alors « La
Bachalaria », nom désignant la propriété d’un bachelier ou « bas chevalier ».
S’agissant du patronyme, au Moyen Âge la famille la
plus connue était celle des « de la Bachelerie », de la noblesse du Limousin, dont
le berceau était la ville d’Eymoutiers dans la région de Limoges. Une autre
famille « de la Bachelerie » appartenait à la noblesse de la Corrèze, dans la
vicomté de Turenne. Une des célébrités, parmi d’autres, de ces diverses
familles, a été le chevalier Hugues de la Bachelerie qui, vers 1215, fut mêlé à
une intrigue amoureuse du troubadour Savary de Mauléon (fondateur des
Sables-d’Olonne en 1218).
Au Moyen-Âge, la jeunesse des filles est l’espace qui
les sépare du mariage, lequel a lieu avant l’âge de vingt ans dans la
quasi-totalité des cas, mais la jeunesse des garçons est, elle, d’une durée
incertaine. L’étude de deux registres de l’époque de Louis XI, au cours du XVe
siècle, indique que « le bachelier » est « jeune homme à marier » ou encore,
selon le texte, « jeune enfant » ou « valet à marier ». Jeunesse va de pair
désormais avec célibat. Les garçons deviennent bacheliers vers 13 ans, se
regroupent en bandes, royaumes, abbayes de jeunesse, bacheleries sous le
contrôle des seigneurs, avec leurs codes et leurs rituels. Le « roi » de la
bachelerie, désigné suite à diverses épreuves et compétitions, acquiert pour un
an l’autorité de gouverner fêtes et charivaris. Les jeunes gens sortent de la
bachelerie avec le mariage ou la naissance du premier enfant, qui traduit la
rupture décisive avec le groupe de jeunesse.
La fête de la bachelerie s’inscrit dans trois
calendriers : celui des fêtes patronales, celui des obligations féodales et
celui des cycles saisonniers. L’Eglise tient à distinguer ses propres fêtes des
divertissements de la jeunesse, contrairement au seigneur qui a intérêt à
rapprocher la fête annuelle et la perception des cens et redevances.
Avant le cycle de Carnaval, qui est le moment de la
licence, des excès et celui du renversement du cours habituel des choses,
viennent les Douze Jours, de Noël à l’Épiphanie, marqués par la fête des
Innocents ou l’Aguilaneuf (A-Gui-l’An-Neuf, 1er janvier). Au-delà, c’est le
temps des Rogations, des arbres de Mai qui honorent les filles à marier,
plantés par les « Bacheliers », membres de la Bachelerie, et des feux de la
Saint-Jean, puis c’est l’Ascension et la Pentecôte, les jeux des moissons
proches de l’Assomption ; enfin, la Toussaint et le jour des Morts. Les
empreintes païennes renvoient presque toujours à des cultes agraires, telles
les Rogations, fête chrétienne qui, par des processions, appelle la bénédiction
divine sur les cultures en exhibant des monstres de bois et de tissu pour
effrayer les mauvais esprits et qui vise à unir la fertilité des champs à la
fécondité des femmes.
Les fêtes et les jeux sont l’occasion pour les
participants de troubler l’ordre social et d’affirmer leur existence. Les
plaisirs spécifiques de cette jeunesse cités dans les lettres de rémission
(jugements de tribunaux) sont la danse, la cour amoureuse, les plaisanteries,
le « mai » planté devant la porte des filles à marier… Ces groupes turbulents
donnent alors le spectacle de leur force, de leur virilité et des qualités de
leur âge pour se démarquer du groupe des hommes mariés. Ils renaissent chaque
année entre Avent et Carême, période dans laquelle le calendrier des fêtes,
chrétien ou païen, inscrit le début du renouveau. Ces fêtes avaient lieu dans
de nombreuses régions puisqu’on en trouve trace jusqu’à Montélimart (Drôme) lorsque,
le jour de la Pentecôte, célébrant la fête des laboureurs, ceux-ci « allaient
danser sur la place des Bouviers autour du Mai planté le 30 avril précédent ».
On peut aussi citer la région d’Angers où était célébré l’A-Gui-l’An-Neuf, qui
fut interdit par l’Eglise en 1595, puis en 1628, du fait de comportements jugés
dissolus lors des réjouissances, appelées « Bachelettes » en raison du nom
donné aux filles qui se joignaient aux garçons.
Dans le Poitou, la fête de la Bachelerie était
célébrée par le rite de « la plantation des arbres de mai », ou dite «
plantation du mai », qui consistait à planter des arbres ou rameaux coupés par
des groupes de jeunes hommes non encore mariés, les bacheliers, devant les
demeures des jeunes filles estimées suffisamment mûres et sages pour se marier
dans l’année. Les jeunes filles, pour leur part, pouvaient aussi s’organiser en
« abbayes de jeunesse », avec à leur tête des « reines » et des « bâtonnières
», et participer à l’organisation des festivités de la Sainte Catherine ou du
bal de mai. L’influence de l’Eglise y fut de plus en plus faible, jusqu’à
disparaître quand ces bacheleries prirent la forme de, ou se confondirent avec,
la violence des « charivaris », ce rituel bruyant par lequel, à l’occasion
notamment de remariages ou d’unions mal assorties, les jeunes célibataires,
déguisés en animaux, faisaient grand tapage avec violences, extorsions, justice
expéditive.
En Vendée, la présence de bacheleries est attestée
dans diverses paroisses, telles La Bruffière, Les Épesses, Talmont… et
Saint-Gilles-sur-Vie. Comme ailleurs, dans leurs multiples déroulements les
fêtes de la bachelerie y étaient l’occasion pour les jeunes de se grouper,
choisir un roi, se livrer à des jeux, festins, danses, libations, plantations
d’un mai, perceptions ponctuelles de redevances autrefois concédées par le
seigneur du lieu Elles ont donné lieu à des débordements violents, parfois
suivis d’interdictions, dont celle définitive à Saint-Gilles en 1782.
Dans l’ensemble du Poitou, la plus célèbre des fêtes
de la bachelerie se produisait à Châtillon-sur-Sèvre. Débutant le dernier
vendredi du mois d’avril à midi, elle donnait lieu jusqu’au dimanche à diverses
activités et rites entre jeunes des deux genres, avec danses et repas bien
arrosés. Le dimanche, la messe était suivie de nouveaux rites, dont celui du
cortège à cheval consistant à se rendre dans une prairie voisine et y danser
puis, à un signal, repartir vers la ville ou le château et y désigner les deux
premiers « rois de la fête » et danser à nouveau. Le dernier jour d’avril,
pendant la nuit, les bacheliers plantaient le Mai et ornaient les portes de
toutes les maisons de rameaux de verdures et de guirlandes de fleurs. Après une
interdiction en 1779, c’est la guerre de Vendée qui mit définitivement fin aux
bacheleries de Châtillon, prise, reprise puis enfin brûlée et seulement
reconstruite durant la Restauration. Cette description se rapproche de ce qui
se passait à Saint-Gilles, d’abord pacifiquement puis avec violences et divers
abus, seul aspect dont on en a connaissance pour notre commune.
Ainsi, un arrêt du la Cour du Parlement du 11 décembre
1782 « fait défense aux habitants de Saint-Gilles-sur-Vie de s’assembler et
s’attrouper … notamment pour la fête dite de la Bachelerie, à l’occasion de la
plantation du Mai, comme aussi de faire des concerts, ni danser la nuit avec
les filles, ni de rien exiger de ceux qui apportent les denrées au marché, sous
les peines portées par les arrêts de la Cour ».
Cet arrêt fait suite à une plainte, le 2 mai 1781, du
procureur fiscal Hilaire Giron au Sénéchal de la Chatellenie de Saint-Gilles,
Coujard, auquel il reproche son laxisme et son inefficacité. M. Giron lui
rappelle que « les abus sont commis par le rassemblement de jeunes garçons de la
classe la plus indigente du peuple et la moins responsable des dommages qu’elle
occasionne… quelquefois durant huit jours et huit nuits. Composée de libertins,
cette assemblée s’appelle vulgairement Bachelerie ». Suit la
description du déroulement de la fête ainsi résumée : « les hommes, un fusil sur
l’épaule, se rendent à grand bruit sur la place appelée le Baril près de
l’église pour planter un mai composé de plusieurs mâts de navire attachés bout
à bout. Ils sont rejoints par les filles de la classe des Bacheliers pour
danser et mettre le mai par terre, lequel s’abat quelquefois sur les petites
maisons. Ensuite, les participants, invoquant de prétendus droits, se livrent
en ville à des extorsions d’argent et pillages sous la menace de leurs fusils.
La Bachelerie va ensuite récupérer d’autres mâts pour refixer celui au sol,
puis court les rues pour porter des bouquets et demander de l’argent. Dans la
nuit du passage d’avril à mai, les Bacheliers vont à la métairie de la Revraie
où ils coupent bois et rameaux, la laissant à demi ravagée, et reviennent sur
la place du Baril pour replanter le mai et planter les rameaux devant les
maisons. Ils s’installent dans les halles, y dansent et tirent des coups de
fusil, selon les années pendant huit jours ».
Le procureur rappelle que, devant de tels désordres
qui duraient depuis des années, la cour du Parlement avait enfin réagi par
arrêt du 1er juin 1779, proscrivant spécifiquement pour la ville de Châtillon-sur-Sèvre,
mais aussi « pour toutes les paroisses de la sénéchaussée de Poitiers » (dont
fait partie la Vendée), les assemblées du genre de celle de la Bachelerie de
Saint-Gilles. M. Giron dit aussi sa propre impuissance à avoir pu faire
respecter pendant les jours précédents, faute de moyens (dont seul le Sénéchal
disposait), cet arrêt face à la résistance de la Bachelerie, qualifiée de
sédition. Le Sénéchal prit acte de cette plainte qui conduisit à l’interdiction
formelle rendue par la Cour en 1782.
À la fin du XVIIIe siècle, encore reconnue au niveau
local, la bachelerie perdit partout sa reconnaissance de groupe possédant une
identité juridique et civile. Après la Révolution, ces bacheleries, abbayes de
jeunesse et autres « jovents » disparurent peu à peu, n’élisant plus qu’un « roi
d’amour, couronné le jour du carnaval ou du banquet annuel des conscrits ».
A Saint-Gilles-sur-Vie, un arbre de la liberté
remplaça en 1793 le mât fleuri sur la place du Baril, actuelle place du Marché
aux Herbes où l’arbre a disparu depuis longtemps (celui de Croix-de-Vie a été
planté en 1848). N’en subsiste, grâce à une initiative louable, que l’intitulé
« rue des Bacheliers », laquelle pourrait être rebaptisée « rue de la Fête de
la Bachelerie ».
Michel PENAUD 28 novembre 2018
Principales références :
– Nicole Pellegrin « Une fête de classe d’âge dans la France d’Ancien Régime : la Bachellerie de Châtillon-sur-Sèvre, Ethnologie Française » (1981), p. 121-144.
– Nicole Pellegrin « Les Bachelleries. Organisations et fêtes de la jeunesse dans le Centre-Ouest, XVe- XVIIIe siècles ».
– Mme Claude Gauvard « Les jeunes à la fin du Moyen Âge : une classe d’âge ?» 1982.
– J. Le GOFF et J.C. SCHMITT « Le Charivari », éd., Paris, La Haye, New-York 1981.
– E. Shorter « Naissance de la famille moderne », Paris 1977, passages cités dans « L’adolescence n’existe pas » de trois co-auteurs, aux éditions Odile Jacob).
– La Bachelerie de Saint-Gilles et la plantation du mai en 1781. In : Annuaire départemental de la Société d’émulation de la Vendée, (1861-1862), [1e série, vol. 8], p. 198-204. [Arch. dép. Vendée]
– Larousse encyclopédique.
– Christine Bénévent « Folie et société(s) au tournant du Moyen Âge et de la Renaissance ».
– Albertine Clement-Hemery « Histoire des fêtes civiles et religieuses » 1846.
– Travaux de l’Ecole Nationale Supérieure de Bibliothécaires (Lyon 1990).
La rue de la CROIX DORION, presque toujours orthographiée CROIX D’ORION par certains qui ont la tête perdue dans les étoiles des constellations d’Orion et de la Croixdu Sud, tient son nom d’un curé-doyen de Saint-Gilles-sur-Vie qui l’a fit édifier voici près de deux siècles à la sortie du bourg, en pleine campagne à l’époque, à la croisée du chemin de Brétignolles (puis route des Sables, maintenant rue du Maréchal Leclerc de Hautecloque) et de trois chemins boueux quasiment impraticables en automne-hiver.
Cette rue est inscrite de façon erronée sur la carte géographique et les plans de la ville « Croix d’Orion », « rue de la croix d’Orion » et même « rue de la croix Orion » Le site internet Googlemap est le seul à avoir corrigé l’erreur. Pourtant, sur le terrain, l’ancienne municipalité avait fait apposer de nouvelles plaques indiquant « RUE de la CROIX DORION – Pierre Marie Léon DORION 1778-1876 – Curé de St Gilles de 1813 à 1842 ». Les cartes mentionnant la Croix d’Orion sont rares : la première semble être un plan cantonal de 1887. Un autre est dans un ouvrage du docteur Baudoin de 1928.
Pierre Marie Léon Dorion, né et baptisé le 29 juin 1778 à la Mothe-Achard, aîné d’une fratrie de huit enfants, était le neveu du premier maire de St-Gilles-sur-Vie, Jacques Cadou. Son père, Pierre François Marie DORION de la touche, cinquième d’une famille de sept enfants, était licencié es-lois, avocat et « syndic de la municipalité de la Mothe– Achart ». Sa mère , était née Anne Jacquette PORCHIER de la THIBAUDIERE. Pierre Marie connut son premier malheur lorsque son père mourut le 28 janvier 1790, à l’âge de 40 ans, peu après le début de la Révolution. Puis, à quinze ans, alors qu’il faisait ses humanités à Nantes, Pierre-Marie apprit qu’un soir de 1793, des soldats « Bleus » avaient mis le feu au logis familial de la Touche après l’avoir pillé. Heureusement, la famille, enfuie depuis plusieurs mois, se cachait alentour. Après plusieurs changements d’asile, Pierre Marie dut quitter sa mère et, afin d’échapper aux poursuites se faire, pendant des mois, berger, bouvier, valet de ferme…
La guerre prit fin, laissant une Vendée exsangue. Mme veuve DORION put récupérer certaines propriétés et s’installa à la Grouinière de Coëx. En 1807, Pierre-Marie, âgé de 29 ans, pourtant bien doté financièrement par sa mère, envisageait la prêtrise. Il fut envoyé à Chavagnes- en-Pailliers pour recevoir une formation accélérée d’à peine deux années au lieu de cinq ou six et fut ordonné prêtre dans la cathédrale de La Rochelle le 1er avril 1809, âgé de 31 ans. Peu après il fut nommé en 1809 vicaire d’Aizenay et de Challans, en 1811, vicaire à Noirmoutier et en 1813 curé-doyen de Sain-Gilles-sur-Vie jusqu’à sa démission en 1842 et son installation à Saint-Gilles pour une longue retraite.
Saint-Gilles était un doyenné de quinze paroisses dont il avait la responsabilité et charge directe de quatre d’entre elles (Saint-Gilles, Croix-de-Vie, Le Fenouiller, Givrand sans vicaire pour le seconder. Menant une vie austère, il dut déployer beaucoup d’énergie dans les deux premières qui avaient été séduites par les idées révolutionnaires. En 1823, le préfet de Vendée le nomma d’office membre du conseil municipal et il dut prêter le serment de fidélité au roi Louis XVIII auquel succéda Charles X puis Louis-Philippe 1er en 1830(révolution de juillet) envers lequel il se montrait critique. Il fut « suspendu » du conseil municipal, ainsi que quatre autres.
En 1826, « année la plus consolante de son ministère », il fit venir une importante mission de quatre prédicateurs de Saint-Laurent-sur-Sèvre, très remarquée par l’évêché. En 1834, l’évêque du diocèse, lui conféra le titre de chanoine honoraire de la cathédrale à Luçon, titre purement honorifique accordé à des prêtres particulièrement méritants.
A partir de 1842, âgé de 64 ans, une surdité le contraignit à se démettre de sa cure et son successeur fut installé dès janvier 1843.L’abbé DORION demeura à Saint-Gilles jusqu’à sa mort dans sa vaste maison de la Charoulière », rue du Bois (future rue du Port-Fidèle). Sa présence est mentionnée à Saint-Gilles, sur chaque registre de recensement quinquennal de population, toujours aidé de deux ou de trois domestiques, de 1817 à celui de 1872. Le 8 août 1859, l’évêque vint, en personne, célébrer les noces d’or du prêtre, cinquantième anniversaire de son sacerdoce, lui qui la décrivit longuement dans l’hebdomadaire » la Gazette Vendéenne » du 20 août 1859 qui en fait sa Une.
L’abbé Dorion sut faire profiter les pauvres des revenus que lui procuraient ses biens, par l’aumônes ou des prêts quelquefois non remboursés. De ces quatre paroisses, l’abbé DORION avait une affection particulière pour celle de Givrand et avait réservé une partie de sa fortune pour y faire nommer un prêtre, lui procurer une cure et même une nouvelle église qu’il finança. Il ne put voir son œuvre accomplie car, après la surdité, il perdit la vue et ne put se promener qu’au bras d’un domestique puis dans un fauteuil roulant.
Il aida aussi par une somme importante à la restauration de l’église de Saint-Gilles que la municipalité avait entreprise en 1873 malgré des difficultés financières.
Il mourut le 4 novembre 1876 dans sa demeure de la rue du Bois, à l’âge de 99 ans, après une retraite de 34 années.
En 1877, Le conseil municipal eut connaissance, pour avis, de ses deux testaments, l’un olographe de 1865 et le second « en la forme mystique » de 1868 confirmant le premier par lequel il léguait sa vaste maison à la congrégation des sœurs de l’Immaculée Conception de Niort pour y ouvrir « une école primaire de filles mais aussi y établir soit un pensionnat de demoiselles, soit un ouvroir, soit une salle d’asile, ou toutes ces œuvres à la fois ». Il léguait aussi une métairie (la moitié des droits) de Saint-Georges-de-Pointindoux avec pour condition « que la Supérieure générale de la congrégation fasse dire tous les ans à perpétuité douze messes basses pour le repos de son âme ».
Du fait de l’ouverture préalable d’une école « Jeanne d’Arc » pour les filles, ce qui devait s’appeler « l’Asile Dorion » devint « l’Asile de l’Immaculée Conception » ainsi qu’en témoigne encore l’inscription sur le bâtiment redevenu une résidence privée depuis le déménagement de l’asile sur un nouveau site en 1995. Le nom du généreux donateur semble donc avoir été oublié. Oublié comme la croix qui, pour beaucoup n’est que d’Orion et non Dorion, une croix dite de mission édifiée probablement en 1826 à l’occasion de la venue de quatre prédicateurs, puis reconstruite en 1888 et qui servit ensuite, jusqu’au début des années 1950, de station pour des processions dont celles des « rogations » visant à favoriser de bonnes récoltes
Michel.Penaud@gmail.com
Ce texte est un résumé d’une étude plus détaillée de 14 pages (auteur Michel Penaud).
Sources : L’hebdomadaire « La semaine catholique du diocèse de Luçon » imprimé à partir de 1877 ; Archives municipales disponibles ; livres ; articles de presse ou autres documents des époques concernées etc.