C’est ainsi que Monsieur Robert Poingt décrit le métier d’agriculteur qui fut le sien jusqu’à l’âge de sa retraite, il y a 15 ans, à la tête de la ferme de « la Jalonnière ».
Combien sommes nous à nous souvenir que, en 1952, on a compté jusqu’à 71 fermes à Saint-Gilles-sur-Vie et 7 à Croix-de-Vie ? Dès 1978, les fermes de Croix-de-Vie avaient disparu. A la même date, 27 exploitations agricoles subsistaient encore à Saint-Gilles-sur-Vie. Depuis, leur nombre n’a fait que décroître jusqu’à trois aujourd’hui, regroupant des terres sur plusieurs communes de Givrand à Saint-Révérend afin de constituer des exploitations rentables dotées des technologies agricoles les plus avancées. La rudesse de ce métier, soumis aux aléas climatiques et aux caprices des marchés, mobilisant tous les membres d’une famille selon une répartition des tâches implacable, n’explique pas à elle seule cette érosion. Aujourd’hui, 40 ha de terres agricoles disparaissent chaque semaine en Vendée, avalées par les zones industrielles, les routes, les lotissements, les centres commerciaux. La nécessité de satisfaire à de nouvelles normes de rentabilité engendre une concentration des terres sur un plus petit nombre d’exploitations et le recours à une intense mécanisation au prix d’ investissements qui, à leur tour, poussent à la concentration des exploitations pour réunir de 150 à 300 ha de terres sur lesquelles sont appliquées des méthodes de culture de plus en plus scientifi ques.
En 1952, 570 ha de terres agricoles ceinturaient les communes de Saint-Gilles et de Croix-de-Vie et s’insinuaient même jusqu’au coeur des cités comme à Croix-de-Vie, la ferme du Gabio appartenant à la famille Chauvin, rue Raimondeau. Les fermes étaient, alors, de taille variable, de 5-6 ha en moyenne, parfois moins quand elles étaient simplement vivrières ou dédiées à la vigne comme l’exploitation de Louis Joubert au « Calvaire », sur le site de l’actuel Centre E.Leclerc ; 50 % des fermes comptaient de 6 à10 ha. Les fermes étaient aussi une forme de placement pour les citadins et le moyen d’organiser une autonomie économique. Par exemple le don permettant de créer l’hôpital « Torterue » a été assorti d’une ferme pour assurer son ravitaillement.
En 1945, les surfaces cultivées dépendaient du nombre de bras qui pouvaient s’y consacrer. L’équation était de 1 homme pour 10 ha. La mécanisation actuelle permet à un homme de cultiver 100ha. Dans les années 50, l’agriculture française a radicalement changé. Le mot d’ordre était, alors, d’améliorer les rendements à marche forcée pour éloigner le risque de pénurie alimentaire. A partir de cette période, les exploitations agricoles sont devenues de véritables entreprises soumises aux enjeux de l’investissement fait à temps et des décisions judicieuses de commercialisation. La concentration des terres a été la contrepartie. En 1973, il existait encore 7 grandes fermes de 30 à 50 ha sur le quartier de Saint-Gilles : les fermes de « la Cour Rouge », de « la Bégaudière », actuelle zone industrielle, de la « Jalonnière », du « Champ de Buzin », de « la Bouchère »,de « La Croix », de « La Cantinière » sur Givrand, du « Champ Pigneton », « des Touchettes » et sur le quartier de Croix-de-Vie, la ferme de la famille Babu.
En 1990, la tendance s’inverse. Il est reproché aux agriculteurs de trop produire. La Communauté Economique Européenne est à l’origine de cette dernière étape de la transformation du monde agricole : en payant les excédents, elle a stabilisé le prix du blé. Cette régulation des prix s’est assortie d’une réglementation draconienne dictée par les techniques de transport et de vente en grandes surfaces. Le calibrage des fruits et légumes en témoigne jusqu’à l’absurde : 10 % d’élimination de la production des fruits et légumes. L’application des quotas laitiers a laissé des souvenirs cuisants : « 200 litres dans le fossé plus des pénalités ! ». Les troupeaux ont été mis en coupe réglée, soumis à des contrôles sanitaires aussi justifiés que salutaires depuis l’épidémie de la vache folle et la découverte que de plus en plus de virus, propres aux espèces animales sont transmissibles à l’homme. Si cette réglementation a apporté une visibilité aux producteurs et de la sécurité aux consommateurs, elle est difficilement réversible. Appliquée au vivant, c’est une grave erreur. Aujourd’hui on s’aperçoit que la pénurie alimentaire pourrait revenir. S’il est possible de dégeler les jachères, on a oublié qu’il faut 3 ans pour faire un troupeau. L’installation des jeunes agriculteurs est compliquée par la disparition des terres et l’importance des mises de fonds de départ.
Les risques sont toujours là, différents. Le moyen de les maîtriser reste le même : s’associer, en coopérative, en groupement d’exploitants agricoles, afin de mieux répartir les aléas et les tâches, accéder à la modernisation des techniques, répartir les investissements de stockage et de mécanisation et surtout accéder aux marchés d’exportation et d’importation. Le métier d’agriculteur est devenu de plus en plus complexe.
Aujourd’hui chaque agriculteur est à la fois producteur, gestionnaire, vendeur et appelé à rendre des comptes sur la préservation de l’environnement voire des paysages.
Les agriculteurs savent aussi qu’ils ont intérêt, comme leurs pères, à être leur propre assureur. Un fond de réserve, c’est 30 % du résultat annuel. Dans les faits c’est plus souvent 10 % tant les marges sont rognées : une laitue vendue par les maraîchers, 15 centimes pièce, est revendue 1,50€ pour payer les intermédiaires. C’est ce qui explique la tendance au circuit court du producteur au consommateur en respectant …les normes de la CEE en matière de traçabilité et d’hygiène. Aujourd’hui 150 ha sont encore en culture dont 20 % sont sur le quartier de Saint-Gilles. Sur celui de Croix-de-Vie, seul un cheval mélancolique dans son champ, rue de Bel Air, a été le dernier témoin de la ferme de la famille Babu et de l’attachement de son propriétaire à son compagnon de travail. Il lui avait promis une douce retraite jusqu’à sa mort survenue en octobre 2008. Depuis lors le cheval fi nit sa carrière dans un centre équestre à la Tranche sur mer.
Michelle Boulègue