Gabriel Maratier en 1931
Ils se font face. Comme deux musiciens s’apprêtant à interpréter une partition en duo se dit Gabriel.
L’image le fit sourire tandis qu’il lançait un coup d’œil de connivence à Fernande qui le fixait de ses yeux si bleus qu’il en était décontenancé à chaque fois. Il se raidit, durcissant l’expression de son visage. « Pas commode le nouveau maître !» se dirent les grands qui le regardaient intensément, les bras croisés, figés, dans l’attente de ce que leur réservait ce premier jour de rentrée. Les petits étaient déjà sous le charme de la douceur de Fernande qui tout au long de sa carrière ne laissa aucun de ses élèves quitter sa classe sans savoir lire, sauf deux récalcitrants, à son grand regret.
En ce premier octobre 1921, les Maratier inauguraient leur carrière d’instituteur à Givrand. Une même et seule salle de classe pour les grands et les petits. Afin de concilier des enseignements différents et cependant simultanés, ils avaient organisé les pupitres de façon que leurs élèves respectifs se tournent le dos tandis qu’eux- mêmes se faisaient face afin de s’accorder d’un seul coup d’œil, selon le rythme et le contenu de leurs enseignements, alternant les travaux silencieux avec les explications au tableau.
Le 24 septembre 1919, ils s’étaient mariés à Saint- Martin- des- Noyers. Gabriel, juste démobilisé, avait rejoint Fernande en 1921à Givrand où elle avait été affectée pour son premier poste d’institutrice. Lui-même, nommé à Saint Gervais, avait fait tant et si bien qu’il venait d’être nommé directeur de l’école primaire de Givrand.
Tout promettait à Gabriel la carrière d’instituteur qui s’ouvrait.
Né le 27 mai 1899 d’un père, ébéniste, et d’une mère, couturière à façon puis commerçante, il baigna dès l’enfance ainsi que son jeune frère, Pierre, dans un milieu laïc et républicain qui mettait la formation des esprits au rang de vertu et plus encore l’aptitude à s’affranchir des idées toutes faites. Aux leçons de vie administrées en famille, au fil des faits et gestes ayant pour théâtre Saint- Martin- des- Noyers, s’était ajouté le vigoureux enseignement d’un hussard de la République, Anselme Roy qui lui fit obtenir en 1911 son certificat d’étude haut la main et décida de sa vocation future : « il sera instituteur !».
Elève brillant, avec une prédilection marquée pour les sciences, l’histoire et la géographie, doté de l’oreille absolue et d’une robuste constitution, Gabriel qui avait été reçu au concours des bourses départementales, élargit son horizon des connaissances à l’école primaire supérieure de Chantonnay de 1911 à 1915 où il prépara avec succès le concours d’entrée à l’Ecole Normale des garçons de la Roche- sur- Yon dont il sortit avec le brevet supérieur en 1918. Son père était déjà sous les drapeaux depuis 4 ans. Sitôt diplômé, Gabriel avait rejoint son régiment à Issoudun puis gagné la ligne de front dans les Vosges. Cette période le plaça sous le signe du maniement des armes mais aussi de la musique tant ses aptitudes en ce domaine le firent repérer par ses supérieurs tout comme un autre soldat, l’abbé Coumailleau avec lequel il noua une amitié durable.
Rendu à la vie civile en 1921 il retrouva les terrains de jeu de son enfance et sa jeune épouse, une fille du pays. Il se connaissait de toujours. Fernande, pupille de l’assistance publique avait été élevée dans une famille d’accueil des Essarts et passait ses vacances à Saint- Martin- des- Noyers. Elève douée et sérieuse, son institutrice avait convaincu l’administration de lui donner sa chance en lui faisant préparer le concours d’entrée à l’Ecole Normale des jeunes filles de la Roche- sur- Yon. Gabriel n’avait pu échapper au charme de Fernande, douce et jolie et surtout auréolée du prestige, rare à l’époque, d’être diplômée de l’Ecole Normale.
Le couple d’instituteurs devint rapidement un pilier de la vie de Givrand. Gabriel était passionné de chasse et de pêche où il excellait, se régalant de tout ce que la nature lui apportait d’enseignement dont il faisait son miel auprès de ses élèves toujours heureux de troquer des heures de classes pour des leçons en plein air.
Bientôt les Maratier eurent la joie d’accueillir Lucette, née en 1922. Les contraintes de leur métier firent apprécier à ces laïcs de confier leur fille à la sacristine « Baptistine » qui ne manquait pas un office religieux avec la pouponne.
En 1930, la mort de Monsieur Maratier père, vaincu par la tuberculose fit envisager au couple de s’installer aux Sables d’Olonne pour y rejoindre la mère de Gabriel. Ce dernier venait d’ailleurs d’obtenir le poste de directeur de l’école primaire du Centre aux Sables- d’Olonne, quand l’inspecteur primaire en décida autrement en le réaffectant au poste de directeur de l’école des garçons de Croix- de- Vie, que Monsieur Pontoizeau , titulaire du poste dut laisser vacant, lui-même très affaibli par la maladie.
1931 vit donc les Maratier s’installer à Croix- de- Vie, Gabriel en qualité de directeur de l’école primaire et Fernande, institutrice à Saint Gilles en charge des classes de CP et de CE1. L’autorité indiscutée de Gabriel s’ajoutait à ses enseignements novateurs faisant de la nature le cadre privilégié de ses classes dès que le temps le permettait,
Passionné par tout ce qui touche au vivant et instruit des lois de la nature, Gabriel Maratier y puisait des leçons de vie pour lui-même et ses élèves sans manquer de leur inculquer vigoureusement les règles de vie en société que le sort humain exige de voir respecter pour survivre. Un jour de rentrée deux « grands » en vinrent aux mains dans la cour de l’école, bafouant la discipline s’imposant en ces lieux pour faire entendre d’autres lois que celle du plus fort. Gabriel Maratier retint les enseignants voulant les séparer et laissa le pugilat se dérouler. Le vainqueur n’eut pas le temps de savourer son succès. Déjà Gabriel Maratier était sur lui et lui infligea une punition publique rappelant à tous que l’école n’était pas la rue et qu’en ces lieux, les maîtres étaient l’autorité en charge de faire respecter les règles de la vie en société permettant de vider un différend autrement qu’en s’empoignant. Les anciens se souviennent encore de cette leçon sans parole qui faisait dire que le Maitre était dur mais juste.
C’était aussi un homme de cœur. Il suffit pour s’en convaincre de lire les quelques lignes écrites sur une feuille de cahier pliée en quatre que Gabriel Maratier lut devant tout le village réuni le jour des obsèques de trois de ses élèves tués un jeudi après-midi de 1945 par un obus découvert dans une casemate à Grosse Terre. Sans grandiloquence, il adressa d’abord aux parents des paroles chaleureuses de consolation puis, appelant chacun des enfants par leur prénom il sut, le temps de quelques mots, leur redonner leur vie de mômes et d’écoliers occupés aux choses de l’enfance quand le pire allait désormais laisser leur place vide sur les bancs de l’école.
Sa réputation d’enseignant, craint et respecté tant des parents que des élèves lui valut, en 1945, de se faire nommer directeur du cours complémentaire par Edmond Bocquier, alors inspecteur d’académie. L’estime que se portaient les deux hommes amena Edmond Bocquier à collaborer avec Gabriel Maratier à des recherches en paléontologie et à l’élaboration d’une collection de minéraux dont Gabriel, plus tard, fit don au Cours Complémentaire de garçons (futur CES Garcie Ferrande de Saint Gilles Croix de Vie). Gabriel Maratier, collectionneur passionné, rassembla de riches collections de papillons, et de coquillages que ses anciens élèves, devenus marins, se faisaient un plaisir de lui apporter ou de lui envoyer des quatre coins du monde.
Gabriel Maratier en 1970
De fait, le vivant sous toutes ses formes enthousiasmait Gabriel mais aussi la culture. Le besoin d’échange l’amena à mettre sur pied pendant l’occupation dans les années 1940 avec quelques complices, dont Madame Roland, chanteuse à Paris et Georges Adet, comédien, une revue locale très suivie et appréciée qui faisait alterner des scénettes enlevées et des pièces musicales. Ainsi les habitants découvrirent-ils les talents de flutiste de Gabriel Maratier et du pianiste, André Bristiel, diplômé du conservatoire de Paris et tout aussi conchyophile que lui, souvent consulté ainsi que son fils et sa petite fille tout aussi incollables.
Homme d’engagement et de conviction, ennemi de toute forme d’obscurantisme, Gabriel Maratier ne craignait pas d’être abrupt avec ses élèves et son entourage auxquels il apportait en retour son enthousiasme pour la vie qui irradiait sa pratique professionnelle et ses amitiés.
Michelle Boulègue à partir d’un entretien avec Catherine Croizé, petite fille de Gabriel et Fernande Maratier
Illustrations issues des archives familiales de Gabriel Maratier
Un élève se souvient :
Gabriel Maratier avait ses méthodes pour faire régner la discipline.
– L’indiscipliné était enfermé sous le bureau comme dans une niche et son immobilité était exigée et obtenue en tapant énergiquement des pieds si nécessaire.
-Un matin un élève est arrivé en retard au prétexte qu’on lui avait volé son vélo. Gabriel Maratier jeta un coup d’œil par la fenêtre et, la marée étant basse, il décida d’emmener la classe sur le port.
-« On va voir si ton vélo est dans le port et s’il y est ça pourrait bien être toi qui l’y aurait envoyé ! »
De fait le vélo était bien dans la vase du port et l’élève avoua en être le responsable pour expliquer son retard.
-« Je vais prévenir tes parents et tu n’es pas près d’avoir un vélo, je t’en fais la promesse ! ».
André Bristiel raconte :
« Un jour d’été, il faisait une chaleur éprouvante, j’ai vu arriver Gabriel Maratier hors d’haleine et cramoisi sous son chapeau. Il venait d’une traite avec un paquet volumineux sous le bras qu’il développa. C’était un cyprea arabica de bonne taille et d’une couleur inhabituelle que venait de lui envoyer un correspondant de la Nouvelle Calédonie. Les eaux à forte teneur en nickel pouvaient expliquer l’aspect étrange du coquillage. Il tenait absolument à discuter avec moi de son identification ; attendre, plus longtemps, un meilleur moment n’était pas supportable pour lui ».
Charles Grasset, son petit- fils n’oubliera pas !
Lors d’une partie de chasse, Charles, alors âgé de 8 ans, entendit son grand père, Gabriel lui intimer l’ordre de rester les jambes écartées et de ne pas bouger. Le gamin sentit éclater une décharge de plomb entre les mollets. Son Grand Père venait de pulvériser une vipère d’un coup de fusil impeccablement ajusté.