Les Puces sont des Insectes qui ont trois paires de
pattes alors que moi, je suis un Crustacé comme les Crevettes, les Cloportes
(terrestres) ou les Gammares (d’eau douce). Ces horribles bestioles sont aussi
des parasites suceurs de sang alors que je suis un inoffensif mangeur d’algues.
De plus, je ne suis pas un animal marin (je déteste les bains de mer bien que
je sache nager !) et je passe la majeure partie de mon temps dans des terriers
de sable en haut de plage.
Par contre, j’aime bien mon nom scientifique
(Saltator) qui fait penser à un personnage de Star Wars ! Surtout, il montre
que je suis un champion de saut en hauteur (20 cm alors que je mesure au plus
2,5 cm). Hélas, la Puce est la championne du monde animal avec un saut de 34 cm
équivalent à 340 fois sa taille. Je suis très sensible à la lumière selon
laquelle je peux m’orienter et je ne peux pas rester allongé sur le sable
pendant les vacances d’été. Ma carapace très fine appelée cuticule se
dessècherait très vite et mes yeux ne supporteraient pas cette forte
luminosité. J’ai donc une activité plutôt nocturne au cours de laquelle je
m’occupe à grignoter les algues laissées sur le sable. En les broyant, je
favorise leur décomposition par les mouches et asticots ; le travail sera
achevé par les bactéries. Je suis au menu de nombreux animaux venant picorer
dans cette laisse de mer, tels que les Gravelots, les Pipits maritimes, les
Tourne-pierres ainsi que les Mouettes rieuses et les Goélands argentés. Je
participe ainsi à l’équilibre de l’écosystème littoral. Les zoologistes qui ont
étudié ma biologie, ont constaté que je suis un bon indicateur de la qualité de
l’eau. J’ai horreur des zones polluées ou contaminées par des métaux lourds et
c’est pourquoi j’ai déserté certaines plages. De plus, ne me parlez-pas de ces
nettoyages par raclage et nivellement du sable qui détruisent mes galeries
ainsi que des mégots remplis de goudrons et de nicotine. Le tabagisme passif,
ce n’est pas pour moi ! L’Océan, incontournable acteur de SGXV 4 Vous pourrez
encore me trouver en haut des plages sauvages, mais attention, si vous me
dérangez, je pourrai vous chatouiller le dos ou vous mordiller la plante des
pieds ! Ah ! Ah ! Gare à la vengeance de Saltator !
Joseph Guittonneau, le capitaine du SNS 154 de
Saint-Gilles-Croix-de-Vie reçoit une alerte du CROSS. En dix minutes, il réunit
l’équipage d’intervention. Ces marins de Saint-Gilles-Croix-de-Vie, tous
bénévoles, lâchent sur le champ leurs occupations pour se porter, au plus vite,
au secours de l’A…, un fileyeur de l’Ile d’Yeu échoué à la Paterne.
En s’embarquant, les sauveteurs savent déjà qu’à bord
de l’A…, le patron et les quatre hommes d’équipage sont sains et saufs.
Partis en soirée pour faire le plein à Saint-Gilles-Croix-de-Vie avant de
rejoindre leur site de pêche, une fausse manœuvre les a fait s’échouer. La
quille enfoncée dans le sable à quelques mètres de l’estran, ils ont cru qu’à
marée montante ils pourraient se dégager. De fait la houle les a fait
s’enfoncer plus profondément. La situation s’aggravant au fil des heures, le
patron s’est résolu à suivre la procédure : prévenir le propriétaire du bateau
et le CROSS en charge d’organiser les secours. Heureusement il n’y a pas de
blessés. Il n’est pas nécessaire de mobiliser l’hélicoptère de la Rochelle.
20h50, le
SNS 154 largue les amarres.
Arrivé à
hauteur de PIL’HOURS, l’équipage tâte déjà d’une mer formée. Le mauvais temps
sera de la partie. Les mentons s’enfoncent dans le col des vareuses. Le
capitaine joint le patron de l’A…qui est catégorique. Pour lui et ses hommes
d’équipage, pas question de quitter le bateau. Ils resteront à bord et aideront
à la manœuvre. Ils ont déjà jeté par-dessus bord leur chargement de glace afin
d’alléger le bateau. Et faute d’avoir eu le temps de faire le plein, la cuve
est quasi vide. Une chance dans ce malheur.
Arrivé sur le site de sauvetage, l’équipage de SNS 154
embrasse la situation d’un coup d’œil. Une mer agitée va compliquer leur tâche.
Il faudra passer des remorques aux marins restés à bord afin de tirer le bateau
hors de sa souille de sable. Un premier ballon auquel est attachée la remorque
est jeté à l’eau. Tous le suivent des yeux. Il s’agit que les vagues le mettent
à portée de gaffe des marins de l’A… qui, sitôt qu’ils auront récupéré la
remorque, auront à l’accrocher solidement en vue de tracter le bateau vers le
large. La manœuvre, exténuante, échoue plusieurs fois. Les déconvenues
s’enchaînent. Deux remorques casseront successivement. Après quoi il faut,
chaque fois, récupérer les 400 mètres de cordage que déroule chaque remorque et
qui ne doivent absolument pas rester dans l’eau, de crainte qu’ils ne
s’enroulent dans les hélices ou, partis à la dérive en mer, qu’ils ne créent
des dommages à d’autres navires.
A la nuit tombée, l’équipage du SNS 154 est exténué.
Le faible coefficient d’une marée de 51 n’a pas été d’un grand secours. L’A…n’a
toujours pas bougé d’un centimètre. A 3 heures du matin, il est évident que des
renforts s’imposent, en plus des pompiers qui, depuis le matin, donnent un coup
de main depuis la plage à bord de leur tracteur. Le SNS 154 rentre à
Saint-Gilles-Croix-de-Vie après avoir fait son rapport. Il est entendu que la
SNSM des Sables va envoyer « Mini-Plomb », une unité puissante qui fait le balisage
des bouées. L’équipage puise dans la force de l’habitude pour effectuer les
dernières manœuvres d’accostage. Il sait devoir repartir après de brèves heures
de repos pour recommencer les difficiles manœuvres de la veille, dans l’espoir
qu’elles seront plus concluantes.
L’équipage de l’A… a suivi des yeux les feux de
signalisation du SNS 154 jusqu’à ne plus les voir. Une nouvelle nuit à bord va
ajouter de la fatigue à celle d’une rude journée. En silence, ils se partagent
les provisions que leur a passées l’équipage du SN 154. Le café bouillant ne réchauffe
pas l’ambiance. Ils écoutent les membrures du bateau grincer sous les effets
d’une houle de plus en plus formée.
Le lendemain
à 9h 30, le SNS 154 est de nouveau à
la manœuvre. Il est rejoint par « L’Aurore Boréale » de l’Île d’Yeu, dont la
vedette est attendue et surtout « Mini Plomb » qui, contrairement à son surnom,
fait le poids. Les pompiers sont là eux aussi, sillonnant la plage. En trois
jours, la situation s’est aggravée. Les marins ont compris que la succession
des marées a enclenché un effet de ventouse qui enfonce plus encore l’A… dans
les sables. Les sauveteurs recommencent à lancer des remorques à son équipage,
toujours dans le but de le faire tirer en attelage par les trois bateaux arrivés
à la rescousse. Les manœuvres se répètent, exténuantes. A la fin de la journée
trois bosses ont cassé sans que l’A… n’ait bronché d’un pouce.
Il reste un espoir. Le coefficient de marée va passer
de 51 à 58.
Il est 18h30. L’équipage du SNS 154 rentre à Saint-Gilles-Croix-de-Vie
prendre un bref repos. Il repartira à 22 heures pour être sur site à la pleine
mer. De nouveau, des remorques sont lancées à l’eau. Sitôt récupérées, elles
sont solidement arrimées à l’A…. Les moteurs sont lancés à plein régime. Les
hélices brassent les vagues qui enragent et écument plus encore. Rien ne bouge.
Les marins s’obstinent. A 1 heure du matin, l’A… bouge. A 2h15, l’A… est en eau
libre. Il aura fallu 4 jours aux sauveteurs bénévoles pour sortir d’affaire
l’A… et son équipage.
Michelle Boulègue à partir du récit de Joseph
Guittonneau, capitaine du SNS 154 de Saint-Gilles-Croix-de-Vie
(1) Bosse :
Câble de nylon tressé de 20cm de diamètre
Qui n’a jamais entendu parler de la solidarité des
gens de la mer ? Tous égaux devant les déchaînements des flots, les êtres
confrontés à un naufrage doivent impérieusement être secourus. Et ce, qu’ils
soient marins ou plaisanciers, du même pays ou d’une nation ennemie. Ainsi,
comme le rappellent B. de Maisonneuve et J-M Péault dans leur ouvrage (1),
l’obligation est ancestrale et universelle. Le droit romain s’en faisait déjà
l’écho. De même que d’autres ports tout au long de l’Atlantique en avaient
ressenti la nécessité, la station de Croix-de-Vie a été créée en 1888. De nombreux
sauvetages ont émaillé son histoire depuis un siècle.
Il ne faut pas oublier que ce sont toujours des
aventures, uniques, dont les pages sont écrites par des hommes au cœur
solidement accroché, bien souvent au péril de leur propre vie. Certains ont
marqué particulièrement les mémoires, que ce soit en raison de l’état de la
mer, de la situation des personnes sauvées, ou de leur nombre.
Il arrive que de simples patrons de bateaux de pêche,
alertés, devancent le bateau de sauvetage pour porter secours dans l’urgence à
des naufragés. Laissons-nous conter l’un de ces récits par la descendante
directe de Léonidas AVRILLA. (2)
Le 3 septembre 1955, une belle journée chaude et
ensoleillée s’annonce sur les rivages vendéens. Temps idéal pour une promenade
en mer, pour 28 jeunes enfants de 10 à 14 ans. Accompagnés de leurs deux
moniteurs, ils font partie d’une colonie de vacances de Saint-Denis. C’est à
bord d’un bateau sardinier de près de 10 mètres, le « Pélican »,
qu’ils goûtent la joie de naviguer au large des rochers de Sion. Le patron et
ses trois matelots s’activent auprès des machines, lorsqu’une explosion déchire
l’air et éteint les cris des goélands. Le moteur hoquette, prend feu en
quelques secondes. La fumée s’élève, aveugle l’équipage et les passagers. Les
moniteurs gardent leur calme, ils emmènent les enfants se regrouper près du
gouvernail, agrippés aux cordages, pataugeant dans l’eau froide qui envahit la
coque. L’équipage tente vainement d’éteindre l’incendie, de rapprocher le
bateau de la rive. Mais il s’enfonce doucement dans l’océan. Il coule
lentement, irrémédiablement.
Heureusement, la fumée épaisse a alerté les promeneurs
sur la terre ferme. Les marins comprennent aussitôt. A Sion, le patron du
homardier « Pas de Manière », Camille GUITTONNEAU, récupère son bateau «
mouillé sur son corps mort » (3). Deux autres patrons pêcheurs, Léonidas
AVRILLA et Stanislas SIMON, se joignent à lui. Ils embarquent pour 25 minutes
de course effrénée sur les flots. Ils s’inquiètent, ne savent pas ce qu’ils vont
trouver, des blessés, des morts peut-être. Le temps joue contre eux.
Ils ne sont pas les seuls à s’être lancés au secours
des naufragés. Un coup de fil à l’Inscription Maritime (4), et Antonin-Léon
BENETEAU met à l’eau le canot de sauvetage de Croix-de-Vie, le
« Feydeau-de-Brou », en deux minutes. Avec le mécanicien Bernard CHEVALIER,
son équipage est loin d’être au complet. Mais il croise les marins Jean
BOCQUIER et Alfred PONTOIZEAU et part immédiatement avec les deux volontaires.
La mer est belle, la marée favorable et il peut se diriger à pleine puissance
vers le sinistre.
Les cris des naufragés leur parviennent avant
d’arriver sur place. Le spectacle qui les attend est effrayant. Les flammes
s’échappent de la cale du bateau, chassant les passagers. Ceux-ci s’accrochent
à des chaînes pendant aux bords, déjà brûlantes. Avec soulagement, ils voient
que neuf garçons, ainsi qu’un moniteur et le patron ont déjà commencé à
embarquer sur le homardier, arrivé sur place avant eux. Il leur reste à
récupérer les autres naufragés rapidement, avant la disparition totale du
sardinier.
Mais le feu s’étend, risque de se propager au canot de
sauvetage. Le patron s’approche prudemment par l’arrière et réussit à saisir
quatre enfants. Ils ne savaient pas nager et lâchaient les chaînes. Mais il
reste encore des hommes et des enfants accrochés au bord du sardinier. La
manœuvre est de plus en plus délicate, le canot frôle les flammes. Malgré la
menace, le canot parvient à hisser encore huit enfants à bord.
Cinq enfants manquent à l’appel, mais il ne reste plus
personne sur le bateau, qui continue à s’enfoncer dans l’eau. Où sont-ils donc
? Se seraient-ils noyés ? L’un des petits rescapés explique que deux des plus
grands sont partis à la nage vers la côte. Les sauveteurs se lancent à leur
recherche, l’angoisse leur vrille le cœur. Ils parcourent un mille avant de les
retrouver, sains et saufs. Les trois derniers avaient pu prendre appui sur des
caissettes de sardines pour nager et ils ont fini par être repêchés.
La côte est rejointe facilement. A Sion et
Croix-de-Vie, tous s’activent à nourrir, réchauffer, réconforter les naufragés.
Au grand soulagement des habitants et des sauveteurs, il n’est à déplorer que
trois blessés légers, deux enfants et un matelot brûlés superficiellement aux
bras et aux jambes.
La solidarité sans faille, la réactivité des marins, ce
n’est pas un vain mot. Et si, le plus souvent, les sauvetages s’opèrent dans la
discrétion, le caractère exceptionnel du naufrage et l’issue heureuse ont
justifié la remise de récompenses aux sept sauveteurs réunis pour l’occasion,
par la mairie de Saint-Hilaire de Riez, puis celle de Saint-Denis, de même que
par la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés.
Le sauvetage est un juste retour des choses, pour le
patron malheureux du « Pélican ». Deux ans auparavant, dans la
tempête, il avait sauvé les trois hommes du thonier « T’en-Fais-Pas »,
des Sables d’Olonne, détruit par le feu entre Saint-Gilles et l’Ile d’Yeu.
Christine Ménard
(1) « STATION DE SAINT-GILLES-CROIX-DE-VIE » - 1887 - 1967 - 2018. (2) Annette PARIS, qui a confié gracieusement à V.I.E. les documents relatifs au sauvetage. (3) Le corps mort est un objet très lourd - type grosse pierre, masse de béton - posé sur le fond de l’eau. Il est accroché par une chaîne à une bouée ou à un caisson flottant. Il permet au bateau de mouiller à poste fixe. (4) L’Inscription Maritime, pendant exactement trois siècles, entre 1665 et 1965, a été l’institution de tutelle de la Marine de l’État sur les gens de mer français. Navigants à la pêche ou au commerce, les « inscrits » (sur les registres de l’administration considérée) devaient effectuer leur service militaire dans la flotte de guerre et bénéficiaient d’un régime de prévoyance. Par décret du 26 mai 1967, l’Inscription Maritime devint l’administration dite des « affaires maritimes ».