C’est vers 1750 que la communauté humaine de Croix-de-Vie rattache la Petite-Île au « continent ». On comble un bras de mer qui empruntait la rue du Bac, bien nommée car un bac existait à cet endroit, au niveau de la pharmacie actuelle, traversait la place de l’Église et gagnait la rue Servanteau pour rejoindre le fleuve VIE. Ce lieu a été le théâtre d’une partie de notre histoire dont les traces mémorielles entretiennent la distinction entre giras et croix-de-viots. Dès 1535, les idées de la Réforme s’étendent jusque dans l’Ouest. Des communautés calvinistes de l’Église Réformée s’installent à Olonne, aux Sables d’Olonne, à Saint-Gilles-sur-Vie. Dans ce dernier lieu, un certain nombre de familles protestantes, ne pouvant trouver des terrains pour se loger, les demandent auprès du seigneur de Saint- Hilaire, La Motte-Ruffée, qui leur propose la « Petite-Île ». Ce quartier est développé de 1551 à 1609 par des familles protestantes. Marie de Beaucaire, de la grande Maison catholique de Luxembourg, récupère la baronnie de Riez dont le fief de La Motte-Ruffée. Elle s’intéresse à Saint-Gilles-sur-Vie en créant deux quais de 1584 à 1610 et elle engage des familles catholiques à s’installer sur la Petite-Île, hameau qui prend le nom de Havre-de-Vie, puis Croix-de-Vie au XVIIe siècle.
L’histoire va aider Marie de Beaucaire dans son projet. En effet, depuis l’unité espagnole en 1492, la reine Isabelle de Castille, avec l’aide de l’Inquisition, chasse tout ce qui n’est pas de « race blanche, de souche espagnole et catholique ». Les Juifs en 1391, puis les Maures musulmans installés depuis le IXe siècle sont expulsés dès 1492. Enfin les générations de Maures, convertis au catholicisme et intégrés, sont expulsées dès 1609. Ces derniers sont appelés Morisques. De nombreux bateaux de toute l’Europe, dont des capitaines d’Olonne et de Saint-Gilles-sur-Vie les transporteront de l’Espagne vers le Maroc, mais aussi vers la France dont Olonne et Croix-de-Vie. Marie de Beaucaire les accueillera sur la Petite Île. En 1610, on recense 120 familles sur la Petite-Île dont 100 familles catholiques et 20 protestantes.
Ces Morisques nous apportent la technique de la pêche à la maille, pour la sardine. Cette pêche commence au large des côtes du Maroc ; puis, suivant le poisson, les pêcheurs longent les côtes portugaises, espagnoles et françaises jusqu’en Vendée, puis vers l’Irlande.
Par la suite, la bataille des Mathes (1622), la débâcle de Rohan Soubise devant le Roi Louis XIII et les massacres de protestants qui s’ensuivent (4 000 morts), vont avoir pour conséquence une émigration des familles protestantes de Saint-Gilles et Croix-de-Vie vers l’Europe du Nord ou le Nouveau Monde. Le protestantisme s’éteint peu à peu dans la région lorsque l’on obligera les Réformés à abjurer de leur foi en 1685. Ce quartier, qui s’appellera parfois le quartier du Maroc, aura les allures d’un village méditerranéen qui contrastent avec le reste de la commune. Les maisons de pêcheurs sont basses et colorées, organisées autour d’une cour qui réunit plusieurs familles, lieu de rencontre et de travail où l’on ramande et fait sécher le filet.
Au fil de la promenade dans ce quartier historique, il est à remarquer la montée de la rue Anatole France, (3,70 m au-dessus du point 0 de la mer), point culminant du rocher de l’ilot et première rue créée en 1574. Plus bas, la marque de Xinthia (montée des eaux à plus 0,50 cm du niveau 0 de pleine mer) a été apposée sur les murs du croisement de la rue de La Roussière et rue de la Garance, pour rappeler que la mer regagne ses droits quand elle le juge utile. Enfin, tout ce quartier est construit avec des pierres de lest. Elles viennent de contrées éloignées : Nord de l’Europe, Québec, Afrique… Les bateaux partaient, chargés de fret en direction du nord, du sud, de l’ouest… Quand les marins avaient déchargé leur marchandise et afin de pouvoir naviguer dans de bonnes conditions de flottaison, ils devaient lester leurs bateaux avec des galets trouvés sur les côtes. Ces pierres, arrivées à Saint-Gilles-sur-Vie et Croix-de-Vie, étaient entassées en « caillons » et vendues pour construire les quais, monter des murs de maison ou enclos. Cette maçonnerie est particulière et caractéristique de la Petite-Île. Ces pierres de lest nous racontent l’histoire maritime du XVIe au XVIIIe siècle sur les côtes du Bas Poitou.
Bernard de Maisonneuve
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