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Bulletin 2022 L’OCEAN, INCONTOURNABLE ACTEUR DE SAINT-GILLES-CROIX-DE-VIE.

LE « GRAND AMIRAL » DU BASSIN DU Luxembourg

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LE « GRAND AMIRAL » DU BASSIN DU Luxembourg

Nous sommes en octobre 1884, une bise aigre s’engouffre dans la rue Raimondeau. Delphine Peaudeau tient fermement le poignet de Clément. Il freine de toutes ses forces, quasi assis sur ses sabots. La lutte est acharnée et se répète chaque matin depuis la rentrée scolaire. Enfin, les voilà devant le portail de l’école des garçons de Croix-de-Vie. Delphine manœuvre le loquet. Il a suffi qu’elle relâche la pression pour que Clément lui glisse des doigts et file comme une hirondelle jusqu’au port. Delphine, à bout de souffle, s’appuie, désespérée, contre le mur de l’école. Encore une journée d’école perdue et une volée de coups pour Clément, ce soir, quand son père l’apprendra.

Clément a huit ans. Il n’aime pas l’école. Il sait ce qu’il veut : devenir marin. A neuf ans, il s’embarque comme mousse sur un sardinier. A douze ans, il entre en apprentissage à la forge de Notre-Dame-de-Riez. Son CAP en poche, il fait son service militaire dans la «Marine» comme mécanicien.

On le retrouve, 7 ans plus tard, chef d’atelier dans une usine d’outillage à Corbeil en région parisienne. Le dimanche, il déambule le long des boulevards parisiens et dans les parcs, la tête bourdonnante de projets. Les automates occupent ses pensées. Un après-midi, devant le bassin des Tuileries, il teste un petit sous- marin capable de s’enfoncer dans l’eau et de revenir à la surface. Clément jubile, ça marche! Un attroupement se forme autour de lui que la police municipale ne tarde pas à disperser rudement. Alors que la maréchaussée s’apprête à verbaliser le fauteur de trouble, Clément, froidement, casse en deux sur son genoux le petit sous-marin et en jette les débris aux pieds des gardiens de la paix médusés.

Clément ne fabriquera plus jamais d’automate mais de ses promenades dans les parcs, l’idée de devenir son propre patron avait germé.

En 1921, au jardin du Luxembourg, il bavardait souvent avec une veuve qui subsistait en louant des maquettes de bateau à faire voguer sur le bassin. Elle lui apprit les démarches à effectuer auprès du Sénat pour obtenir la concession qu’elle envisageait de céder. En 1922, Clément Peaudeau devient le quatrième concessionnaire autorisé à faire naviguer « les Petits Bateaux du Luxembourg » pour la modique somme de 2 francs 50 la demi- heure. Un mois seulement s’est écoulé entre l’envoi de sa requête et la réception de l’autorisation.

Clément Paudeau et son fils Pierre.

Entre temps, il a découvert, au 4 de la rue Visconti, l’atelier où il construira et entretiendra, 20 ans durant, une flottille de 30 unités. Il met au point une charrette très astucieuse lui permet- tant de transporter ses navires sans les abîmer. Son fils, Pierre, lui succède durant les 30 années suivantes avec autant de talent. Tout deux mettent au point de nombreux modèles, certains gigantesques. Tous sont étonnamment stables et remontent bien au vent. Ils gagnent de nombreuses régates organisées sur les bassins du Luxembourg et des Tuileries et sur le lac d’Enghien. Leur réputation est bientôt internationale. Certains collectionneurs n’hésitent pas à commander une maquette chaque année, dont un marchand de primeurs de Californie ! La restauration est également assurée. Plus de 100 bateaux sont expédiés dans le monde entier.

Portrait de Pierre Paudeau dans son atelier par Jean Rémy Couradette(extrait de l’ouvrage « Les Petits Bateaux du Luxembourg ».

Edition Ouest-France.

Clément et son fils Pierre ne manquent aucune exposition ou salon nautique.

Au fil du temps, les Paudeau suppriment le premier « e » de leur nom et deviennent une véritable institution. Casquette de marin enfoncée sur le front, Clément s’amuse de son titre d’ « Amiral du bassin du Luxembourg » que Pierre pousse au rang de « Grand Amiral », une non moins immuable casquette de marin sur la tête.

Quand Clément passe la main à son fils Pierre, il revient sur ses terres natales mais préfère mettre sac à terre à Saint- Gilles dont son épouse, Louise Pouclet, est native.

Clément s’investit passionnément dans le débat qui agite les quais de Saint-Gilles et de Croix-de-Vie dans les années 30, à savoir la motorisation des bateaux de pêche. Augmenter la vitesse, c’était se donner plus de chance d’arriver les premiers sur les lieux de pêche et donc de rentrer les premiers et de mieux vendre les prises. Mais le bruit des moteurs pouvait-il faire fuir les poissons? Comment gérer le carburant ? Quel surcoût faudrait-il supporter ?

A force de discussions, de dessins et de maquettes, en échangeant les uns avec les autres, dont Clément Paudeau, le chantier Bénéteau est le premier à trouver le moyen d’encastrer le moteur dans la coque d’un sardinier sans entraver la circulation des marins sur le navire en pêche. Des capitaines audacieux font confiance au chantier et lui commandent leur premier sardinier à moteur.

La pêche à la sardine à Saint-Gilles-Croix-de-Vie allait connaître un formidable développement et à sa suite le chantier Bénéteau en tant qu’acteur éminent de la filière.

On doit à Jean Rémy Couradette, petit neveu de Clément, et à Daniel Gilles, écrivain, le récit de l’étonnante carrière au cœur de Paris, de l’ « Amiral du Bas- sin du Luxembourg ». L’ouvrage édité par Ouest-France en 2012 a été acquis en plusieurs exemplaires par V.I.E. qui les a remis à la bibliothèque municipale et à la

« Maison des Ecrivains de la Mer » afin que soit mieux connue et partagée l’histoire de ce gars du pays. Les amateurs de maquettes auront la bonne surprise de découvrir dans l’ouvrage les plans leur permettant de réaliser « leur bateau du Luxembourg ».

Michelle Boulègue

Sources : « Les Petits Bateaux du Luxembourg au cœur de Paris » par Jean Rémy Couradette et Daniel Gilles – Editions Ouest-France.

 

L’OCEAN, INCONTOURNABLE ACTEUR DE SGXV Non classé

LA MER

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Je vous avais promis une planche sur la mer ; mais la mer sans l’homme n’aurait que peu d’intérêt.

La mer sera présentée à travers l’adolescent, l’apprenti… avant de rejoindre le monde des «grands» de la mer.

Nous ne parlerons pas de la mer sous ses aspects géographiques et physiques ; cette mer-là vous la connaissez mieux que moi et les professeurs de géographie le feraient de façon bien plus précise.

Nous ne parlerons pas non plus de la mer des scientifiques et des écologistes ; ce n’est pas mon métier et cela serait bien trop déprimant ; ni de la mer des plaisan- ciers et de l’intérêt qu’ils y portent, intérêt bien souvent proportionnel à la taille et à la magnificence du navire qu’ils y font évoluer.

Nous ne parlerons pas davantage de la mer des vacanciers qui l’aiment suivant sa température ou la douceur de ses plages.

Mon propos est de vous entretenir de la mer, à travers ceux qui y travaillent, qui y souffrent, qui l’aiment et qui la craignent, de la mer et de ses laboureurs : les Ma- rins Pêcheurs.

Cette mer a bercé mon enfance et ma vie. Mon grand-père et mon père étaient des marins. À la maison, dès mon plus jeune âge, il était question des vents, des marées, des quartiers de lune. Les saisons étaient rythmées par les périodes de pêche. Ce n’était pas l’été mais «la campagne aux thons», pas le printemps mais «l’époque sardinière». L’hiver c’était les «poissons plats» et l’automne «les merlans». Ainsi concrétisait-on le temps dans ma famille. Les dictons fleurissaient à la maison : il était question du «vent d’aval, plein les cales» du «vent d’amont, pas de poissons» du «vent du nord, reste au port» ou bien «petite brise, bonnes prises» et bien d’autres encore.

Nous, les gosses de la côte, cette mer nous fascinait. La fureur de ses éléments durant la tempête, les récits des anciens, la ligne infinie de son horizon, tout cela avait des airs de surnaturel.

Quand nous allions au plus bas des marées d’équinoxe, témoins étonnés de cette mer mystérieuse, au lieu de ramener quelques-uns de ses secrets, nous nous contentions de gros congres et d’énormes dormeurs.

Cette époque s’est achevée à treize ans, enfin délivré de sommaires études à l’école communale, mon embarquement se précisait et allait devenir réalité.

Je pensais être devenu un homme ; père me trouva un embarquement avec un cousin éloigné, en qualité de mousse sur un chalutier mixte, le GRE DES FLOTS.

À la coopérative des marins, père m’acheta bottes, suroît, ciré et tablier, le tout d’un beau jaune couleur du coton enduit d’huile de lin ; c’était un grand bonheur à tel point que je suis resté en tenue de mer toute la journée. Seule ma mère ne semblait pas partager ma joie. Pourquoi ce sentiment ? Après tout ce n’était pas mon problème.

Mon père me disait : «les femmes c’est triste les jours de grand vent, elles ont les yeux fragiles». Deux ou trois jours avant mon embarquement, je suis allé avec la mère à l’église de la paroisse porter un cierge à Saint Pierre, patron des marins. C’était la coutume. Rite ou symbole, en ces temps, je ne savais pas. Puis, le jour du départ arriva. Sur le pont, en compa- gnie des hommes tous affairés aux pré- paratifs du métier, le malaise s’empara de moi. Mon regard se portait vers l’arrière, dans le sillage du navire, vers le phare qui diminuait : c’était le mal de mer!… cela dura toute la marée, trois jours, trois longs jours, couché sur la paillasse que ma mère avait faite avec tant de soin et qui sentait la paille fraîche.

Les marées se succédèrent avec comme souvenir affreux, le mal de mer. Cela ne pouvait plus durer ; ma tâche n’était pas exécutée et le travail d’un mousse, c’est utile sur un bateau. Le patron vint voir mes parents. Après discussion, le père décida de me conduire chez un rebou- teux, dans un petit village du marais ven- déen. Le «soigneur», qui était un homme très grand et dégageait une drôle d’odeur, m’a délivré définitivement du mal de mer. Réalité scientifique ou foi ? Peu importe, seul le résultat compte !

Les marées gardaient leur rythme. Le chalut montait régulièrement du fond, des bons et des mauvais coups ou traits. Nous étions penchés le long du bord, jeunes et vieux, dans une attente infantile de la remontée. Nous étions tous là, guet- tant le cul du chalut. Le souvenir me reste de ces approbations ou de ces silences, suivant l’importance de ce cul, plein ou vide de poissons, venant frapper le flanc du bateau. Sur notre dix-huit mètres, nous étions six liés les uns aux autres et le sachant. Une grande tolérance existait entre nous, seule façon de vivre harmo- nieusement dans une telle promiscuité.

Notre vieux patron «BELONIE», marin sûr, parlant peu, donnait ordres et décisions que personne ne discutait. Il ne nous venait même pas à l’idée qu’ils puissent être différents.

Les saisons passaient ; mon statut évoluait : mousse, novice puis matelot. Le métier de la mer m’avait appris beaucoup de choses sur les hommes : la joie d’une équipe, la solidité d’une entente devant les coups durs.

Le souvenir de ces journées interminables reste intact : quinze à dix-huit heures sur le pont, les bonnes et les mauvaises marées, les bordées à terre dans les ports voisins : bordées au vin rouge, c’était moins cher !

Il y avait un grand sentiment de liberté sur les embarcations ; après les escales de deux ou trois jours, nous nous sen- tions mal dans notre peau dans ces rues étroites pleines de gens pressés, n’ayant pour but que des horaires ou des emplois du temps.

Comme si on pouvait employer le temps! Un vieux marin disait «à amarres larguées, comptes réglés» ; il nous arrivait d’oublier une dernière tournée ou de laisser une fille déçue sur le quai mais, une fois au large, les comptes étaient clairs, la page tournée.

À bord, nous parlions peu. Nous n’avions rien à dire sans doute ou bien les mots ne venaient pas. Mais il n’est pas besoin de paroles pour dire que nous aimions tous ce beau ciel étoilé où l’on a repéré la grande ourse ou Cassiopée, un beau soleil levant ou couchant, une mer du large, rose, couverte de plancton, un rayon de soleil au travers d’une déferlante ou, par une nuit de printemps, le spectacle des hommes travaillant sur le pont.

Il arrivait aussi la nuit que, dans la lumière des projecteurs, des dizaines d’oiseaux de différentes espèces, viennent s’écraser sur les vitres de la passerelle ou les agrès de la mâture. Cette lumière, tout être vient à sa rencontre. L’homme la chérit encore plus car il la veut au dehors comme au dedans. Nous n’en parlions pas, nous étions bien.

Les années passaient avec leurs apports de connaissances ; beau temps et gros temps se succédaient.

Je me souviens d’un autre patron, aussi sûr que le premier qui disait «la mer n’aime pas ou ne garde pas les incompétents». Il nous rapportait, lors d’un coup de tabac «écoutez les gars, le bateau qui chante» ; c’est impressionnant, surtout de nuit, d’entendre les membrures d’un chalutier craquer, se plaindre. Quand il retombe plus ou moins bien dans un creux, parfois sur le flanc, tout frémit jusqu’à la quille. Une petite angoisse, la gorge sèche, un petit point au creux du ventre c’est peut- être cela la peur ? En ces moments j’ai vu des hommes se signer discrètement, pour ensuite se retrouver joyeux, bien vi- vants autour d’une «moke» de café géné- reusement mouillée de gnole du pays en se disant «ç’aurait pu être plus méchant».

Et les quarts ? Quart de jour, quart de nuit où l’on est seul avec la mer, maître du navire, les compagnons se reposant. On éprouvait un sentiment indéfinissable de pouvoir changer les choses à son gré…

Tel est ce métier avec ses doubles joies ; celle du retour : retrouver ceux qu’on aime, celle du départ, sentiment plus obscur d’indépendance.

Voilà ce que ressent encore un ancien marin pêcheur.

Je terminerai avec ces vers d’un grand navigateur :

«HOMME LIBRE, TOUJOURS TU CHERIRAS LA MER»

Sylvain Rebeyrotte

 

LA MER

Je vous avais promis une planche sur la mer ; mais la mer sans l’homme n’aurait que peu d’intérêt.

La mer sera présentée à travers l’adolescent, l’apprenti… avant de rejoindre le monde des «grands» de la mer.

Nous ne parlerons pas de la mer sous ses aspects géographiques et physiques ; cette mer-là vous la connaissez mieux que moi et les professeurs de géographie le feraient de façon bien plus précise.

Nous ne parlerons pas non plus de la mer des scientifiques et des écologistes ; ce n’est pas mon métier et cela serait bien trop déprimant ; ni de la mer des plaisan- ciers et de l’intérêt qu’ils y portent, intérêt bien souvent proportionnel à la taille et à la magnificence du navire qu’ils y font évoluer.

Nous ne parlerons pas davantage de la mer des vacanciers qui l’aiment suivant sa température ou la douceur de ses plages.

Mon propos est de vous entretenir de la mer, à travers ceux qui y travaillent, qui y souffrent, qui l’aiment et qui la craignent, de la mer et de ses laboureurs : les Ma- rins Pêcheurs.

Cette mer a bercé mon enfance et ma vie. Mon grand-père et mon père étaient des marins. À la maison, dès mon plus jeune âge, il était question des vents, des marées, des quartiers de lune. Les saisons étaient rythmées par les périodes de pêche. Ce n’était pas l’été mais «la campagne aux thons», pas le printemps mais «l’époque sardinière». L’hiver c’était les «poissons plats» et l’automne «les merlans». Ainsi concrétisait-on le temps dans ma famille. Les dictons fleurissaient à la maison : il était question du «vent d’aval, plein les cales» du «vent d’amont, pas de poissons» du «vent du nord, reste au port» ou bien «petite brise, bonnes prises» et bien d’autres encore.

Nous, les gosses de la côte, cette mer nous fascinait. La fureur de ses éléments durant la tempête, les récits des anciens, la ligne infinie de son horizon, tout cela avait des airs de surnaturel.

Quand nous allions au plus bas des marées d’équinoxe, témoins étonnés de cette mer mystérieuse, au lieu de ramener quelques-uns de ses secrets, nous nous contentions de gros congres et d’énormes dormeurs.

Cette époque s’est achevée à treize ans, enfin délivré de sommaires études à l’école communale, mon embarquement se précisait et allait devenir réalité.

Je pensais être devenu un homme ; père me trouva un embarquement avec un cousin éloigné, en qualité de mousse sur un chalutier mixte, le GRE DES FLOTS.

À la coopérative des marins, père m’acheta bottes, suroît, ciré et tablier, le tout d’un beau jaune couleur du coton enduit d’huile de lin ; c’était un grand bonheur à tel point que je suis resté en tenue de mer toute la journée. Seule ma mère ne semblait pas partager ma joie. Pourquoi ce sentiment ? Après tout ce n’était pas mon problème.

Mon père me disait : «les femmes c’est triste les jours de grand vent, elles ont les yeux fragiles». Deux ou trois jours avant mon embarquement, je suis allé avec la mère à l’église de la paroisse porter un cierge à Saint Pierre, patron des marins. C’était la coutume. Rite ou symbole, en ces temps, je ne savais pas. Puis, le jour du départ arriva. Sur le pont, en compa- gnie des hommes tous affairés aux pré- paratifs du métier, le malaise s’empara de moi. Mon regard se portait vers l’arrière, dans le sillage du navire, vers le phare qui diminuait : c’était le mal de mer!… cela dura toute la marée, trois jours, trois longs jours, couché sur la paillasse que ma mère avait faite avec tant de soin et qui sentait la paille fraîche.

Les marées se succédèrent avec comme souvenir affreux, le mal de mer. Cela ne pouvait plus durer ; ma tâche n’était pas exécutée et le travail d’un mousse, c’est utile sur un bateau. Le patron vint voir mes parents. Après discussion, le père décida de me conduire chez un rebou- teux, dans un petit village du marais ven- déen. Le «soigneur», qui était un homme très grand et dégageait une drôle d’odeur, m’a délivré définitivement du mal de mer. Réalité scientifique ou foi ? Peu importe, seul le résultat compte !

Les marées gardaient leur rythme. Le chalut montait régulièrement du fond, des bons et des mauvais coups ou traits. Nous étions penchés le long du bord, jeunes et vieux, dans une attente infantile de la remontée. Nous étions tous là, guet- tant le cul du chalut. Le souvenir me reste de ces approbations ou de ces silences, suivant l’importance de ce cul, plein ou vide de poissons, venant frapper le flanc du bateau. Sur notre dix-huit mètres, nous étions six liés les uns aux autres et le sachant. Une grande tolérance existait entre nous, seule façon de vivre harmo- nieusement dans une telle promiscuité.

Notre vieux patron «BELONIE», marin sûr, parlant peu, donnait ordres et décisions que personne ne discutait. Il ne nous venait même pas à l’idée qu’ils puissent être différents.

Les saisons passaient ; mon statut évo- luait : mousse, novice puis matelot. Le métier de la mer m’avait appris beaucoup de choses sur les hommes : la joie d’une équipe, la solidité d’une entente devant les coups durs.

Le souvenir de ces journées intermi- nables reste intact : quinze à dix-huit heures sur le pont, les bonnes et les mau- vaises marées, les bordées à terre dans les ports voisins : bordées au vin rouge, c’était moins cher !

Il y avait un grand sentiment de liberté sur les embarcations ; après les escales de deux ou trois jours, nous nous sen- tions mal dans notre peau dans ces rues étroites pleines de gens pressés, n’ayant pour but que des horaires ou des emplois du temps.

Comme si on pouvait employer le temps! Un vieux marin disait «à amarres lar- guées, comptes réglés» ; il nous arrivait d’oublier une dernière tournée ou de laisser une fille déçue sur le quai mais, une fois au large, les comptes étaient clairs, la page tournée.

À bord, nous parlions peu. Nous n’avions rien à dire sans doute ou bien les mots ne venaient pas. Mais il n’est pas besoin de paroles pour dire que nous aimions tous ce beau ciel étoilé où l’on a repéré la grande ourse ou Cassiopée, un beau so- leil levant ou couchant, une mer du large, rose, couverte de plancton, un rayon de soleil au travers d’une déferlante ou, par une nuit de printemps, le spectacle des hommes travaillant sur le pont.

Il arrivait aussi la nuit que, dans la lumière des projecteurs, des dizaines d’oiseaux de différentes espèces, viennent s’écra- ser sur les vitres de la passerelle ou les agrès de la mâture. Cette lumière, tout être vient à sa rencontre. L’homme la chérit encore plus car il la veut au dehors comme au dedans. Nous n’en parlions pas, nous étions bien.

Les années passaient avec leurs apports de connaissances ; beau temps et gros temps se succédaient.

Je me souviens d’un autre patron, aussi sûr que le premier qui disait «la mer n’aime pas ou ne garde pas les incompétents». Il nous rapportait, lors d’un coup de tabac «écoutez les gars, le bateau qui chante» ; c’est impressionnant, surtout de nuit, d’entendre les membrures d’un chalutier craquer, se plaindre. Quand il retombe plus ou moins bien dans un creux, parfois sur le flanc, tout frémit jusqu’à la quille. Une petite angoisse, la gorge sèche, un petit point au creux du ventre c’est peut- être cela la peur ? En ces moments j’ai vu des hommes se signer discrètement, pour ensuite se retrouver joyeux, bien vi- vants autour d’une «moke» de café géné- reusement mouillée de gnole du pays en se disant «ç’aurait pu être plus méchant».

Et les quarts ? Quart de jour, quart de nuit où l’on est seul avec la mer, maître du navire, les compagnons se reposant. On éprouvait un sentiment indéfinissable de pouvoir changer les choses à son gré…

Tel est ce métier avec ses doubles joies ; celle du retour : retrouver ceux qu’on aime, celle du départ, sentiment plus obscur d’indépendance.

Voilà ce que ressent encore un ancien marin pêcheur.

Je terminerai avec ces vers d’un grand navigateur :

«HOMME LIBRE, TOUJOURS TU CHERI- RAS LA MER»

Sylvain Rebeyrotte

Bulletin 2020

À PROPOS DE L’ÉGLISE DE SAINT-GILLES

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Au VIIIème siècle, deux siècles avant sa fondation, son saint patron avait dû fuir Athènes, harcelé par ses concitoyens pour ses visions.  Embarqué sur la galère d’un négociant grec qui faisait le commerce du vin avec la Gaule, il finit par mettre le pied sur les quais d’Arles et gagna Nîmes, décidé à vivre la vie d’ermite dans l’épaisse forêt proche. Plusieurs années s’écoulèrent quand, un jour, la biche qu’il avait apprivoisée vint se réfugier près de lui, poursuivie par des chasseurs ;  voulant la protéger, il étendit l’une de ses mains qui fut transpercée par la flèche destinée à l’animal. Varma, le gouverneur de Nîmes en ce VIème  siècle, eut connaissance de l’anecdote et voulut rencontrer l’ermite. La douceur de ce dernier et la rudesse de la vie qu’il s’imposait lui firent si grande impression qu’il lui fit édifier un monastère au bord du Gard dont le rayonnement s’accrut au fil des missions d’évangélisation dépêchées à travers toute la Gaule à partir du VIIIème siècle.

Dédié d’abord à Saint Pierre et Saint Paul, l’ermite, s’étant voué à Saint Gilles, devint le saint patron du monastère qui, au IXe siècle, prit le nom de Saint-Gilles-du-Gard. Portées par la ferveur des moines, les missions s’intensifièrent. L’une d’elle s’ancra à Saint-Michel-en-l’Herm. Dans le même siècle, les pas des moines de Saint-Michel-en-l’Herm les conduisirent ermau havre de Sidon situé au fond de l’estuaire de la Vie. Depuis l’antiquité les navires y faisaient escale pour commercer, y trouver refuge et renouveler leurs provisions de vivres et d’eau douce tant les sources y abondaient. Quelques habitations se groupaient alors autour d’une motte fortifiée qui avait bien du mal à résister aux incursions des pirates, des vikings et des bandes armées. La mission édifia une modeste église sur les flancs de la motte, élargit les fortifications et les compléta d’un système de douves s’emplissant d’eau de mer à chaque marée. De cette église carolingienne il ne reste rien car ces moines décidèrent de la transformer en l’agrandissant et surtout en renforçant ses défenses ainsi que celles du prieuré qu’ils y adossèrent. Un bullaire de Saint-Gilles-du-Gard du XIIème siècle en fait mention. Solidement ancré sur le haut de la falaise rocheuse, face à l’entrée de l’estuaire, le monastère fortifié fut à la fois le refuge des habitants lors des incursions normandes et un amer précieux pour les marins.

Livrée à ses seules ressources, l’église Saint Gilles, partagea les vicissitudes qui accablèrent ses paroissiens comme les guerres, les ravages du temps et les colères de la nature.

Les guerres.

Au cours de la guerre de Cent Ans, les terres du Poitou furent tour à tour anglaises et françaises. La victoire de chaque camp, les ruinèrent chaque fois un peu plus. Ainsi, l’église Saint Gilles fut détruite par les anglais au début du XIVème siècle. Ils ne laissèrent debout que l’assise du pilier nord actuel et le clocher. La victoire leur semblant durable ils reconstruisirent l’église qui fut dite « église des anglais ». Les clochers étaient indispensables pour faire le guet sur terre et se repérer en mer.

L’insécurité régnait alors sur les routes. Dans le même temps, les progrès de l’art de naviguer faisaient préférer aux commerçants les routes maritimes. La première caraque génoise toucha en 1277 Bruges qui s’imposa comme le grand centre de distribution des produits méditerranéens à travers l’Europe du nord jusqu’à Novgorod et la laine anglaise approvisionnait les métiers à tisser de Toscane. L’Atlantique, la Manche et la mer du Nord devinrent le cadre d’un trafic commercial allant s’intensifiant, les flottes anglaise et génoise se taillèrent la part du lion tout en se faisant une concurrence féroce. La flotte anglaise, chez elle à Bordeaux en terre de Guyenne, relâchait régulièrement en baie de Bourgneuf pour y embarquer des frets de sel et de blé.

De 1568 à 1610, les guerres de religion mirent les lieux de culte au cœur des conflits. En 1613 les catholiques décidèrent de reconstruire leur église dont les protestants n’avaient laissé debout que le bas-côté nord et la tour du clocher. Faute d’argent et d’ouvriers qualifiés, ils durent se contenter d’élargir la nef centrale, non voûtée, d’une nef collatérale nord, le tout fermé par une épaisse muraille percée de fenêtres ordinaires, sans meneaux. La victoire de Louis XIII sur le chef des armées protestantes, Benjamin de Soubise, lors de la bataille de Riez, annonça le déclin de l’emprise de la Réforme sur les terres d’Aquitaine et du Poitou. Dès l’année qui suivit la Révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV en octobre 1685, les protestants de Saint-Gilles eurent à subir la destruction du temple même si les mariages entre réformés continuèrent d’être actés devant notaire.

Crédit photo Denis Draoulec

En 1793, les Bleus s’en prirent à l’église détruisant les statues, les objets du culte et lacérèrent les tableaux. Les cloches furent descendues et transportées en chaloupe jusqu’aux Sables-d’Olonne pour y être fondues laissant l’église sans voix jusqu’en 1821. Pendant la Révolution, le port de Saint-Gilles, baptisé Port-Fidèle pour prix de sa loyauté envers la République, vit son église devenir Temple de la Raison après avoir été un casernement et un grenier à fourrage. En 1801, le Concordat rendit L’église au culte catholique. Quinze ans plus tard, Saint-Gilles et Croix-de-Vie eurent à endurer le dernier épisode des guerres de Vendée faisant s’opposer sur leurs sols les troupes bonapartistes aux émigrés royalistes soutenus par les Anglais qui firent même débarquer des renforts à la Petite Côte. C’est alors qu’en 1815, le général Grosbon inspectant les alentours du haut du clocher de l’église Saint Gilles fut atteint à l’œil par une balle improbable partie du quai des Greniers, ajustée par un soldat royaliste, sniper avant l’heure. Mortellement blessé, descendu sans ménagement par ses soldat et transporté en charrette jusqu’au Sables-d’Olonne, il ne survécut pas à ses blessures.

Les ravages du temps.

Le 18 novembre 1870, en pleine guerre, l’église de Saint-Gilles s’est lézardée au point que le préfet dut condamner la grande nef. Les paroissiens suivaient les offices, tassés sous le clocher. En 1871, l’architecte départemental, Monsieur Leclais dressa les plans d’une église à trois nefs. Un terrain fut acheté au sud à cet effet. Le montant des travaux fut estimé à 30 000 francs. Les 5 500 francs de la paroisse ne pouvant suffire, la commune participa pour 2 300 francs. Le financement fut bouclé grâce aux quêtes pour 13 000 francs et au don de 10 000 francs de l’abbé Dorion, retiré à Saint-Gilles et alors âgée de 94 ans. L’entreprise Gaborit de Pucette obtint le chantier qui dura trois ans.

Les violences de la nature.

En 1787, la foudre détruisit la flèche du clocher. Rapidement reconstruit, celui-ci continua d’être un amer précieux pour les marins. Le 21 novembre 1840, la foudre frappa de nouveau la flèche du clocher et engendra un début d’incendie. Le 18 décembre 1845 un nouvel incendie nécessita 50 000 francs de travaux. Le 29 juillet 1894, la foudre, encore fit flamber le clocher et détériora l’horloge. Quelques minutes plus tôt, elle avait foudroyé un séminariste sur la Grande Plage. L’installation d’un paratonnerre fut décidée sur lequel la foudre tomba deux fois le 24 juin 1925, puis sur la minoterie qui fut détruite. Seuls, les greniers à grains furent épargnés. Les pompiers de la Roche-sur-Yon et ceux des Sables-d’Olonne arrivèrent trop tard. Les édiles décidèrent alors la constitution d’un corps de pompiers. Le 18 février 1937 la foudre brisa le paratonnerre pendant la grand-messe sans que l’office ne s’interrompe. Restauré, le paratonnerre tint bon.

Depuis 1874 l’église n’a pas subi de profonde transformation. Quant à lui, le clocher de Saint Gilles est resté debout sinon en l’état depuis près de huit siècles. En témoignent les graffiti exceptionnels remontant au XIVème siècle qui, gravés dans ses pierres, en disent long sur l’ennui des guetteurs pendant leur temps de veille mais aussi sur la silhouette des navires, à quai, sous leurs yeux.

Michelle Boulègue.

Article réalisé à partir des archives de la cure.