par Pierre Garcie dit Ferrande
Le Grant Routtier (1483 – 1502 – 1520)
Suite … à février 2020.
Ce deuxième document poursuit l’approche complexe de la Roue Pôle-Homme de Pierre Garcie dit Ferrande, comme instrument de navigation. Nous sommes au cœur de la science nautique des XVe et XVIe siècles.
Lorsque j’ai commencé, en 2010, à transcrire le texte de Pierre Garcie dit Ferrande, je savais que la figure qu’il représentait à la page 5 du Grant Routtier (1520) était encore une énigme. Suite à la publication de l’ouvrage, «Pierre Garcie dit Ferrande – le routier de la mer, v.1490
– 1502 – 1520», CRHIP – 2015, de nombreuses questions m’ont été posées sur cet instrument de navigation, son origine, son utilisation.
Roue Pôle-Homme de Pierre Garcie – 1520
Pierre Garcie, Le Grant Routtier, 1520, [f° 7r] :
«Voici sur la manière de router. Si tu veux bien mesurer une route, avec perfection, il faut savoir ce que je t’enseignerai. Premièrement, sache qu’une route de 80 lieues, que tu feras au large, avec un de ces quarts de vent ; tu portes un navire 16 lieues vers le haut [nord] ou vers le bas [sud]. Exemple familier : si tu veux na- viguer sur une route qui vise le nord et le sud comme [de] Belle-Île à Santoña et que tu prennes un quart de nord-est ou de sud- ouest ou de nord-ouest ou de sud-est, ce quart de vent te déportera [de] 16 lieues en 80 lieues… Et en toutes ces routes maritimes, il faut savoir s’il y a des marées qui vont vers le nord ou le sud. Et s’il n’y a aucune marée, il faut bien les mesurer ; et s’il advient qu’en faisant la navigation et route qu’il te faille mettre ton navire à la cape et qu’il te convienne de capeler, il faut bien que tu prévoies en quel rhumb de vent tu mettras le cap de ton navire ; car un navire, mis à la cape, court toujours face au vent. Et pour cela, mets ton navire en sécurité afin que tu ne sois pas déçu.»
La Roue Pôle-Homme, instrument marinisé au XVe siècle, offre au marin un cadran des heures, un cadran aux étoiles : c’est ce que nous avons vu en dans l’article de 2020.
Mais c’est aussi un instrument plus complexe comme cadran compas pour tracer sa route, convertisseur d’heure solaire en heure lunaire pour le calcul des marées, et leurs Règlements. Pierre Garcie dit Ferrande, né à Saint-Gilles-sur-Vie en 1441, est un des tout premiers marins scientifiques qui initie la communauté maritime française à une navigation à l’estime avec un apport de l’astronomie.
Comment naviguer sans voir la terre et sans instrument de marine autre que la Roue Pôle-Homme : tracer sa route.
Au XVe siècle, le marin peut calculer la latitude (ou axe Est-Ouest) de la position en mer par l’étoile polaire. Mais il est très difficile, si ce n’est impossible, de calculer la longitude (axe Nord-Sud) de sa position en mer.
Dans son journal de bord (1492), Christophe Colomb considère que le navire ne suit jamais la route qu’il est supposé suivre. Les problèmes à résoudre au quotidien sont donc des problèmes de dérive. Pierre Garcie propose un Règlement des lieues et de la dérive à estimer.
L’estime est une méthode de naviga- tion où la position actuelle du navire est déduite en reportant la direction suivie et la distance parcourue à partir d’un point de départ parfaitement connu.
C’est, à ce moment, une méthode graphique qui doit être reportée sur une carte, le portulan. La transcription graphique de la route est le cadre dans lequel s’inscrit le graphique de l’estime. Cela semble sûr : on part sur une route oblique Nord-Sud jusqu’à couper la latitude du port d’arrivée et, de ce point sur une parallèle est-ouest, on continue sur cette parallèle jusqu’au port d’arrivée. Mais l’expérience nous montre que le navire pourra rarement suivre cette route tout du long ; des sautes de vent, tempêtes ou courants vont engendrer des parcours parasites qu’il faudra prendre en compte. Il faut donc à la moindre altération forcée de la route être capable de tracer sur la route initiale le point où cet incident a lieu. Pour cela il suffit de connaître le nombre de milles parcourus depuis le départ, estimés avec un loch ou buche de bois, et de les reporter sur la carte après les avoir transformés en distance sur la carte par le truchement de l’échelle portée en marge par la Roue Pôle-Homme.
Pierre Garcie décrit une Roue Pôle- Homme (figure 1), utilisable comme rose des vents, constituée de 8 rhumbs ou

Figure 1 – Roue Pôle-Homme de Pierre Garcie – 1520 – redessinée © CRHIP.
32 quarts. Le dessin représente les huit directions premières [N – NO – O – SO-S SE – E – NE] avec huit étoiles intercalées pour les directions secondaires [NNO – ONO – OSO – SSO – SSE – ESE – ENE –
NNE]. Le marin a ainsi un cadran compas de mer de 16 directions représentées (chacune de ½ rhumb ou 2 quarts) et
16 autres directions imaginaires. Ce compas permet d’exprimer le cap suivi par le navire avec 32 quarts de vent, et par équivalence avec deux fois 12 heures ou encore en huit fois 45°.
Pour évaluer les chemins parcourus le long de l’axe idéal de la progression et en s’écartant de cet axe, il fallait d’abord fixer la longueur d’1° de méridien. On adopta d’abord une base de 16,50 lieues par degré de latitude, soit 50 milles par degré ou 50 lieues pour 3°. Christophe Colomb utilisait un facteur de 14,20 lieues. Pierre Garcie donne, par estimation de toutes ses mesures, que la valeur d’un degré de latitude est de 16 lieues ou ½ rhumb de vent.
La Roue Pôle-Homme est considérée comme un compas à 32 aires de vent. Le pilote trace sa route en utilisant les lignes inscrites en rose des vents sur une carte marine ou portulan. Ces lignes s’ appellent un marteloire. Il trace ainsi une route surface à partir de la vitesse estimée et du temps passé, et en conséquence, indique la distance parcourue (figure 2). Puis il applique une première correction qui concerne la dérive estimée due au courant et une deuxième correction qui concerne la dérive due au vent. On obtient alors le cap vrai, qui est l’ angle avec le nord que l’on doit suivre au compas pour courir sur la route fond, et un point estimé. Il établit une troisième correction avec la latitude du point d’observation qu’il mesure la nuit avec la Polaire. Il peut ajuster son point estimé avec le point d’observation.

