Se loger décemment en dépit de moyens modestes est une exigence cruciale, personnelle, familiale et sociale. Le logement est un bien vital. Cependant, la pénurie de logements accessibles s’incruste dans notre paysage social et économique depuis près de 60 ans. Déjà l’abbé Pierre avait vigoureusement dénoncé ce scandale en lançant son appel du 1er février 1954. Le problème persiste, à la limite de l’inextricable, particulièrement dans les grandes villes. Les explications dont l’abbé Pierre a été abreuvé continuent d’être ressassées : les destructions de nombreuses habitations par les bombardements au cours de la deuxième guerre mondiale, le rapide développement démographique, les spéculations foncières et financières, les complexités administratives et réglementaires qui verrouillent l’accès aux aides toujours trop chiches. A cela s’ajoute la frilosité des banques en ces périodes de crise économique et financière. Pourtant ce ne sont pas les plans incitateurs qui ont manqué depuis l’après-guerre. Comment expliquer ce grave échec collectif ? Peut-être l’ambiguïté dans laquelle nous nous complaisons faisant, du logement, à la fois un bien de consommation, soumis pour l’essentiel aux lois du marché, un bien de première nécessité et un droit social reconnu de haute lutte mais non assorti de moyens. Encadrer l’accès au logement locatif par un système de règles destinées à équilibrer les intérêts des bailleurs et des locataires ouvre-t-il la voie à des solutions innovantes ? Une loi si pertinente soit-elle ne fera pas venir le beau temps au pays du logement locatif du jour au lendemain. Les initiatives à visées non lucratives restent à prendre. Des exemples ?
A Saint Gilles Croix de Vie ce type d’initiative a modelé un quartier entier, traversé par les rues actuelles des Fontenelles, Pierre Lucas, des Castors et de la Félicité, dans les années cinquante. A cette époque, de 35 à 40 familles vivaient à Saint Gilles dans des conditions très dures. Le spectacle de ces familles logées dans des conditions indécentes a fait sortir Victor Nadeau de ses gonds. Ce militant syndical décida avec une équipe de volontaires de prendre ce problème à bras le corps en dépit des difficultés ; trouver du terrain, faire un montage financier qui permette aux familles de payer leur investissement dans la durée et pour finir parvenir à surmonter les multiples complications administratives. La solution de Victor Naudeau : agir ensemble pour se donner toutes les chances de réussir. Il ne nageait pas en pleine utopie. Il savait qu’il devait être concret pour convaincre. Il raconta à ces familles comment, à Saint Pol de Léon, une association s’était lancée dans une aventure similaire et avait ainsi réussi à reloger quelques familles vivant dans des galetas. L’assemblée fut conquise. Victor Nadeau entreprit donc les démarches. Les difficultés administratives s’amoncelèrent au point de doucher l’enthousiasme de plusieurs familles. Victor Naudeau reçut néanmoins l’appui de la Caisse Rurale représentée alors par Monsieur Grousseau. Bientôt, 13 familles seulement s’accrochaient encore au projet. La mise en vente des terrains de la ferme de la Cour Rouge offrit une opportunité à saisir à condition d’agir vite. Le temps pressait. Il s’agissait de ne pas rater cette opportunité. Victor Nadeau alla chercher conseil auprès de l’association nationale des «Castors» et créa l’association 1901 des Castors de Saint Gilles.
Sans surprise, Victor Naudeau fut élu président. D’emblée, le bureau se comporta comme un comité d’action comprenant un chef de chantier, un secrétaire et un trésorier. Homme d’expérience, Victor Nadeau eut l’idée de créer un comité d’honneur dans lequel il décida, sans en consulter les intéressés, de mettre le maire, le curé, le directeur de «la Mascart»* et le percepteur, toutes personnes susceptibles de convaincre les décideurs du sérieux de l’entreprise. Il ne fut pas déjugé. Les maires de Saint Gilles qui se sont succédés au fil des élections l’ont toujours soutenu. L’administration joua également le jeu. Ainsi Monsieur Faucheux, de la Direction Départementale du Ministère de la Construction, architecte de métier fit personnellement et à titre gratuit les plans de trois types de maisons allant du F3 au F5 afin de tenir compte de la taille des familles. Toutes disposaient d’un garage et d’un jardin. Le 7 mai 1953, le Conseil Municipal de Saint Gilles autorisa le maire à vendre à l’association des Castors 13 terrains dont le prix fixé par les Domaines était de 250 Fr du m2. De plus, la mairie décida de réduire ce montant de 150 Fr du m2 afin de soutenir l’action de l’association des Castors. Le 13 juin 1953, la mairie décida d’accorder aux membres de l’association des Castors, acquéreurs de ces terrains, un délai maximum de paiement d’une durée d’un an à compter de la signature des actes de vente et ce sans intérêt. Le financement des travaux devait s’effectuer au fur et à mesure de l’avancement des constructions grâce à des prêts consentis par la Caisse Rurale, la Caisse des Allocations Familiales et le Crédit Foncier de la Roche sur Yon. Les Castors retroussèrent leurs manches et bâtirent leur maison en s’entraidant. Les chantiers étaient ouverts le soir après le travail, les samedis après-midi, les dimanches et les jours fériés. Victor Naudeau était toujours là. Le quartier des Castors sort de terre C’est alors que trois nouvelles familles demandèrent à faire partie du projet nécessitant l’ouverture d’une nouvelle tranche. D’autres familles les imitèrent. Le 21 novembre 1953, le Conseil Municipal de Saint Gilles délibéra une nouvelle fois en vue d’accorder de nouveaux terrains afin d’étendre le lotissement des Fontenelles pour accueillir 15 nouvelles familles. Cette fois le terrain sera cédé à hauteur de 350 Fr le m2. L’association de gestion n’en restera pas là car en dépit de ses efforts, les besoins persistèrent. Le 9 juin 1960, Victor Naudeau et quelques amis dont Alphonse Barreau, Monsieur Peterman, Paul Thorette et Louis Crochet déposèrent les statuts de l’association d’Aide aux Sans Logis de Saint Gilles sur Vie afin de mener à bien un nouveau programme de 34 logements. 7 entreprises locales remportèrent les appels d’offre concernant 7 corps de métier. Encore une fois, la mairie joua le jeu même si le maire avait changé entretemps. Par délibération du 19 février 1960, le Conseil décida l’acquisition d’un nouveau terrain au quartier des Fontenelles au prix modique de 3 nouveaux francs le m2 grâce au concours financier de la mairie. Au final ce seront 63 nouvelles maisons qui seront construites en trois tranches. N’ayant que leur courage à mettre en partage, les Castors ont assumé avec dignité leur responsabilité de chefs de famille. En dépit de grandes difficultés, ils ont démontré par l’exemple les conditions de la réussite : associer l’initiative et la détermination des personnes au volontarisme des élus avec l’appui des institutions publiques, privées et bancaires. La formule reste gagnante chaque fois qu’elle est mise en pratique.
Michelle Boulègue Article réalisé à partir des recherches effectuées par Jean Michel Barreau *La «MASCART-ALLEZ» est le nom de l’entreprise dans laquelle Victor Naudeau occupait les fonctions administratives et comptables à compter du 1er décembre 1945 photo prêtée par Michel Barreau.