Noëlle a sans doute été la dernière femme gardien de phare sinon la seule et la première à Saint Gilles- Croix- de- Vie lorsqu’elle eut à faire équipe avec Joël, son mari
Tout a commencé le 1er janvier 1970 quand celui- ci a été nommé aux services techniques à la Mairie de Saint– Gilles Croix -de -Vie. A ce moment-là, monsieur Pateau, titulaire du poste de gardien des Phares et Balises, venait de prendre sa retraite, laissant son poste vacant. Et voilà comment Noëlle, secrétaire comptable de son métier, s’est retrouvée nommée gardien de phare en échange du logement de fonction, des plus spartiates, situé sur l’éperon de Pontchartrain au bout duquel fut installé en 1852, en haut de ladite « tour Joséphine » le premier feu du port (Cf. ci-dessous « Les feux de Saint-Gilles-Croix-de-Vie »).
De fait, c’est le couple qui s’est retrouvé en charge des feux de Croix-de-Vie.
La fonction exigeait une telle disponibilité et des compétences si variées qu’un gardien, retraité, fut dépêché des Sables- d’Olonne, une semaine durant pour initier la nouvelle équipe qui engagea autant Noëlle que Joël, en plus des charges professionnelles de celui-ci.
Ils découvrirent ainsi les subtilités du réglage des horloges, selon la durée du jour, pour chacun des 4 feux du secteur (1). Ils apprirent à changer les manchons des lampes à gaz des feux de la Garenne et de la bouée de Pil’Hours, par tous les temps, à tout moment car l’exposition aux embruns en raccourcit d’autant la longévité. Changer les lampes du feu postérieur dit « Grand Phare », c’était d’embarquer dans l’ascension des 103 marches de son escalier en colimaçon. Il est vrai que la récompense d’une vue exceptionnelle sur le port et le grand large était à la mesure de l’effort.
Le gardien avait aussi la responsabilité de la mini- station météo installée dans le jardin du logement de fonction. Le gardien devait noter chaque jour l’orientation du vent, sa force, le niveau des chutes de pluie, de neige et de grêle. Les états, sitôt établis, étaient transmis à la station départementale de la Roche- sur-Yon. Ce jardin, hébergeait également un zoo, modèle réduit, composé d’un lapin, d’un canard et d’un goéland. A l’heure de la sieste, chacun s’installait sur sa marche de l’escalier menant à la mini-station de météo. Le spectacle ne manquait pas d’amuser les promeneurs.
Les émoluments accordés au gardien comprenaient, outre le logement, la jouissance d’un potager équipé d’un puits et clos de murs le protégeant des embruns. De fait deux ou trois marins, retraités dont Jojo Leblois, en ont assuré la culture avec une joviale efficacité. Ce jardin est aujourd’hui un jardin public qui permet d’apprécier une vue exceptionnelle sur le port tandis qu’un monument érigé en 2014 est dédié à la mémoire des marins péris en mer.
Le soir venu, le gardien entrait en fonction. Il commençait par faire une tournée des feux afin de s’assurer que tout était en ordre de marche pour la nuit. Une deuxième tournée s’effectuait vers 23 heures. Il y eut des nuits mémorables quand, rincé par la pluie, il fallut remplacer la lampe de Boisvinet par gros temps, cramponné aux derniers barreaux d’une échelle glissante arrosée par les vagues qui se ruaient sur le bout de la jetée. L’exercice était tout aussi périlleux au feu de la Garenne dont l’accès à l’échelle en place nécessite de lui accrocher une échelle mobile qu’il fallait récupérer dans le local des Phare et Balises de la Garenne et la porter à l’épaule jusqu’au bout de la jetée quand les vents d’efforçaient de la prendre par le travers. Une nuit, il fallut remplacer le manchon de la lampe à gaz. C’est alors que le corps plié en deux sur le haut de la rambarde de la plateforme, le visage juste au-dessus du brûleur, l’opérateur enflamma le gaz accumulé en approchant l’allumette, se grillant la face sur le champ tandis qu’une manche de son duffle-coat s’enflamma. Remis de ses émotions, Joël revint à la charge car il fallait coûte que coûte assurer le bon fonctionnement du balisage de l’entrée du chenal, surtout par gros temps. Cette fois- ci le diable était de la partie car à la deuxième tentative les gaz s’enflammèrent à nouveaux ! A grands coups de pédales, il a battu ses records de vitesse pour faire le tour du port et alerter de toute urgence Radio Conquet (ce pouvait aussi être Radio Saint- Nazaire). Immédiatement, l’opérateur de permanence informa les navires en mer car la portée des feux de secours était moindre. La situation était particulièrement périlleuse quand le feu de secours n’avait pas pu être mis en marche. Dès le lendemain un électromécanicien intervint sur place. Mais c’étaient les jours et les nuits de brume que le gardien était en alerte. Souvent les gardiens de phare de Noirmoutier et de l’île d’Yeu, voyant la brume arrivée avant lui, l’en prévenait aussitôt. Il fallait que les feux soient visibles. Pour s’en assurer par temps de brume il fallait aller sur place et cela plusieurs fois nuit et jour pour s’en assurer. Il fallait aussi que la corne de brume fonctionne aussi longtemps que les feux n’étaient pas visibles. Le système était activé par la réception, sur le réflecteur situé sous la fenêtre de la façade du feu intérieur, de faisceaux lumineux émis respectivement depuis le poste technique de Boisvinet et du local des Phares et Balises de la Garenne. Le maintien en état de marche nécessitait de changer toutes les deux heures les convertisseurs situés dans le local technique de Boisvinet dont l’accès était aussi un lieu de rencontre. Une nuit, Noëlle s’y fit agresser.
Remplacé depuis par un système électronique, l’ancien dispositif est encore repérable. Pour preuve, cette année, un oiseau malin a installé son nid sous l’auvent en zinc qui abrite la lunette du local et la Garenne. Il pouvait arriver que la corne de brume s’active par temps clair. Le responsable était souvent un goëland juché sur la lampe et l’occultant. D’autres farceurs pouvaient inquiéter Joël. C’est ainsi qu’un matin il remarqua que le feu de la Garenne avait changé de couleur. Rendu sur place, il découvrit que dans la nuit on avait tiré sur les durites d’alimentation de gaz et que la réserve annuelle de gaz liquide s’était répandue, se gélifiant sur les flanc de la bonbonne en l’encroûtant de blanc.
Les années passant, les feux d’alignement et d’horizon, virent leurs secteurs partiellement occultés par les constructions comme les immeubles « Merlin ». C’est alors que le feu dit de « Grosse Terre » fut édifié en 1972, sur la Corniche et placé, lui aussi , dans le périmètre de vigilance du gardien de phare.
En 1991, Joël put prendre sa retraite mais dut rester gardien des feux de Saint-Gilles-Croix-de-Vie jusqu’à ce qu’en 1996, les feux soient dotés de cellules photoélectriques s’allumant automatiquement à la tombée du jour et s’éteignant au jour levant. Dans le même temps, les nouvelles lampes à iode ne nécessitèrent plus un remplacement aussi fréquent.
Mission accomplie pour le gardien des feux de Saint Gilles Croix de Vie.
Aujourd’hui, Joël resté seul à se souvenir, garde en lui un profond respect pour les gens de mer, tant il a eu à approcher, si modestement soit- il, les dangers de leur métier.
Michelle Boulègue à partir du témoignage de Joël Craipeau et des archives personnelles de Bernard de Maisonneuve.
(1) Il s’agissait des deux feux d’alignement situés en face de l’actuelle Mairie et rue Henri Raïmondeau ainsi que des feux de la Garenne et de Boisvinet (situés respectivement au bout des jetées de même nom)