L’AGGLOMÉRATION, HISTOIRE, ENJEUX ET PERSPECTIVES

MONSIEUR TORTERUE, BIENFAITEUR et VISIONNAIRE.

Ce 23 août 1884. Emile Aimé TORTERUE* traverse lentement la place poussiéreuse de Soullans. Coiffé de son melon, il a chaud dans sa redingote de drap noir. C’est la tenue qu’il s’est imposée pour remettre son testament à maître CULTIEN, son notaire. Celui-ci vat-il encore une fois lui imposer « une ultime réflexion » selon sa formule. Il n’est plus temps, se dit-il.
La décision de M. TORTERUE, notable résidant à Soullans, a de quoi surprendre. Elle fait de la commune de Saint-Gilles-sur-Vie le légataire universel de sa fortune composée de biens fonciers et mobiliers dont les revenus annuels sont estimés à 20 000 francs. En contrepartie, Saint-Gilles-sur-Vie devra construire un hospice destiné à accueillir six giras et six croideviots, nécessiteux et malades, tout aussi éprouvés par l’existence, sur un emplacement à convenir par les deux communes. Un véritable pari sur l’avenir, les relations entre elles étant plus conflictuelles que cordiales… A cette condition primordiale, s’ajoute le respect du caractère inaliénable des biens légués destinés à couvrir les frais de construction et d’entretien du futur hospice. Outre ces dispositions, M. TORTERUE demande que trois messes soient célébrées chaque année à sa mémoire et qu’une petite rente soit assurée à vie à sa fidèle servante.
Le 10 octobre 1884, Emile Aimé TORTERUE décède à son domicile.


Le 26 décembre 1884, Emile GRONDIN, maire de Saint-Gilles-sur-Vie, réunit le conseil municipal avec un seul point à l’ordre du jour : le conseil municipal de Saint-Gilles-sur-Vie accepte-t-il le legs de M. TORTERUE ? Sans surprise, les élus municipaux considèrent que le legs est recevable dans l’intérêt des habitants de Saint-Gilles-sur-Vie. Le 17 juin 1884, le conseil municipal de Croix-de-Vie, réuni par son maire, maître Henri RAIMONDEAU, accepte également le legs, au même motif.
Le 16 octobre 1885, le sous-préfet des Sables d’Olonne avise, par lettre, les deux communes, que
la parentèle de Monsieur TORTERUE, dénonce le legs et intente une action en justice afin de récupérer l’héritage. Les deux conseils municipaux s’accordent pour considérer que ce recours n’a aucune chance d’aboutir et passent outre.
Reste aux 2 communes à satisfaire aux volontés de Monsieur TORTERUE.
Les conseils municipaux de Croix-de-Vie et de Saint-Gilles-sur-Vie conviennent de mettre en place une commission bipartite afin de procéder de façon concertée à l’exécution des dispositions testamentaires de M. TORTERUE. Ce sera chose faite le 18 juin 1887.
Le 18 juin 1888, la commission se réunira pour lapremière fois afin de discuter de l’emplacement de l’Hospice. Le 19 avril 1889, la commission convient que l’emplacement devra être au plus près possible de Croix-de-Vie.
Le conseil municipal de Croix-de-Vie perd patience. Le 27 mars 1890, il adresse une lettre du préfet de la Vendée pour se plaindre de ne recevoir aucune information de la part de Saint-Gilles-sur-Vie quant au suivi de l’exécution du legs. Cette lettre fait suite à celle adressée au Président de la République le 17 octobre 1887, laissée sans réponse.
Si Saint-Gilles-sur-Vie ne prend pas la mesure de l’agacement de Croix-de-Vie, ce n’est pas le cas du docteur ABELANET. Il craint que la montée des tensions entre les deux communes ne menace le projet. Ce médecin parisien, spécialiste des maladies osseuses, pneumologue est devenu en 5 ans une figure locale. Convaincu des vertus thérapeutiques de l’air marin et du soleil pour soigner les maladies respiratoires et le mal de Pott dont souffre son fils, il n’a pas hésité à venir s’installer à Croix-de-Vie. Il y a fait construire sa résidence en haut de la plage
de Boisvinet ainsi que deux pavillons équipés de baignoires afin que son fils et tout malade souffrant de tuberculose puissent y prendre, sous contrôle médical, des bains chauds d’eau de mer puisée directement sur la plage.
Le 1er septembre 1890, le docteur ABELANET intervient auprès du conseil municipal de Saint-Gillessur-Vie. Il suggère une solution audacieuse : la fusion des communes. Mais la supériorité démographique de Saint-Gilles-sur-Vie aurait eu pour conséquence l’absorption de Croix-de-Vie. Trop de tensions accumulées entre les deux communes au fil du temps rend cette proposition irrecevable. Il faudra attendre
1967 pour que la proposition du docteur ABELANET se concrétise.
Fin 1890, l’implantation de l’hospice se précise. Marie Constance MERVEAU accepte de vendre un terrain de 66 ares ; par chance, Blanche BRAUD accepte àson tour de vendre un terrain mitoyen de 30,5 ares.
Le 19 mars 1891, Saint-Gilles-sur-Vie lance une adjudication en vue de sélectionner l’architecte qui aura à proposer le plan du futur hospice. Le 7 février 1892, la mairie retient le projet de Charles SMOLSKI, célèbre architecte des Sables d’Olonne. La livraison d’un bâtiment sans fioriture abritant 12 lits est prévue pour mars 1894. Le budget intègre la construction, très attendue, d’une chambre dans une métairie de Soullans ainsi que prévue dans le testament d’Emile TORTERUE.
Entre temps, on découvre que le fruit du placement des produits des biens légués est loin de s’élever aux 20 000 francs estimés. Le 10 octobre 1892, l’économe chargé par Saint-Gilles-sur-Vie de gérer les biens légués indique que les ressources disponibles s’élèvent à 9 212 francs. Les inquiétudes du maire de Croix-de-Vie sont justifiées.
Il faut recourir à un emprunt de 112 000 francs complété par un autre emprunt de 42 000 francs souscrits auprès de la Caisse des Dépôts à un taux de 5 % garantis par les produits du legs qui y sont placés. La vente du mobilier d’Emile TORTERUE est décidée en 1893 au grand dam d’Henri RAIMONDEAU qui s’en plaindra auprès du sous-préfet des Sables d’Olonne pour non-respect des volontés du donateur et mauvaise gestion. Il renouvellera ses protestations auprès du préfet de la Vendée le 17 juin 1894.

Le 16 avril 1893, Saint-Gilles-sur-Vie décide de repousser la livraison de l’hospice au 1er septembre 1894 et consent à un emprunt complémentaire de 35 000 francs.
Dans le même temps, la commune fait face à une série de procédures judiciaires. En juin 1892 les époux LAVERGNE intentent une action en justice afin de se libérer de l’obligation de payer une dette souscrite auprès de Monsieur TORTERUE dont ils se croyaient dégagés du fait de son décès alors que le legs en rend bénéficiaire Saint-Gilles-sur-Vie. Le 26 février 1893, les époux LAVERGNE jettent l’éponge versant 8 000 francs à la commune qui pour sa part devra payer les frais de justice de l’ordre de 800 francs. Le 23 avril 1893, Henri RAIMONDEAU engage une procédure à l’encontre de Saint-Gilles-sur-Vie pour mauvaise gestion du legs. La commune y oppose une fin de non-recevoir.
Le 27 novembre 1894, le préfet de Vendée informe Saint-Gilles-sur-Vie que l’action en justice lancée par Croix-de-Vie est recevable par le tribunal administratif des Sables d’Olonne et que le maire de Saint-Gilles-sur-Vie est personnellement visé. En réponse, le maire réunit le conseil municipal qui décide que la responsabilité de la gestion incombe à la commission de gestion ad hoc et donc au président de ladite commission, également membre du conseil municipal. 

Pendant ce temps, le projet de l’hospice avance au point de ne plus avoir besoin du report consenti. L’architecte SMOLSKI présente un mémoire en mars 1894 détaillant les travaux réalisés assorti d’une demande de rallonge budgétaire de 50 000 francs justifiée par des ajouts au programme initial : une écurie, une chambre supplémentaire, un poulailler, une étable, un verger, un potager, l’installation de l’électricité et de l’eau courante ainsi que le chauffage. Ces dépenses supplémentaires serontelles couvertes par l’aide de l’Etat, du département ou du Pari Mutuel ? Seul celui-ci octroiera 30 000 francs, trois ans plus tard, le 19 décembre 1897.
La réception des travaux à lieu le 28 avril 1894 à la satisfaction de la mairie qui félicite l’architecte SMOLSKI, l’architecte délégué Charles CHARRIER, et l’entreprise de construction SANTERRE. Le bâtiment sera assuré le 7 avril 1896.
Il s’agit maintenant d’organiser l’accueil des 12 résidents. La mairie de Saint-Gilles-sur-Vie sollicite la Congrégation des Sœurs de Saint Charles à Angers afin que deux d’entre elles soient autorisées à prendre en charge ces 12 personnes. Après réflexion, la mère supérieure conseille à la mairie de solliciter les sœurs de Saint-Laurent-sur-Sèvre qui acceptent à condition que soit octroyée à l’ordre une rente de 2000 francs par an. C’est alors que l’on s’aperçoit que l’unique chambre prévue pour leur accueil est par trop spartiate. Une deuxième chambre est ajoutée au bâtiment pour un accueil prévu le 21 juin 1899.
Nouveau rebondissement : la préfecture de Vendée s’avise que des résidents pouvant être malades, il faut solliciter l’autorisation d’ouverture auprès de l’Assistance Publique. Le préfet André de JOLY communique à la mairie le décret du 5 novembre 1898 autorisant l’ouverture de l’hospice, assorti du règlement du 5 octobre 1898 détaillant les conditions de fonctionnement à respecter. Entre temps, la Congrégation des Sœurs de Saint Charles a accepté que deux d’entre elles prennent en charge les résidents. A leur demande un oratoire sera mis à leur disposition le 9 juin 1899. Ce changement de décision est-il consécutif au fait que les sœurs de Saint Charles ont fait construire la « Villa Notre Dame » en 1895, sur les dunes de la Garenne, afin que celles d’entre elles, atteintes de tuberculoses, y reçoivent les soins du docteur ABELANET ?
L’inauguration officielle de l’hospice aura lieu le 1er mars 1899. Les volontés d’Emile Aimé TORTERUE auront mis près de 15 ans à être respectées. Encore que… le 29 février 1899 sa maison a été vendue à la mairie de Soullans qui s’est empressée de la raser pour élargir son champ de foire.
Michelle Boulègue.
*Emile Aimé TORTERUE (1820-1884) est né à Soullans d’une
famille originaire d’Indre-et-Loire. Sa mère, Mariette BODET, était
originaire de Soullans.

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